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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Les Cent-Jours, ou l’esprit de sacrifice, de Dominique de Villepin

Écrit par Dominique de Villepin, les Cent-Jours, ou l’esprit de sacrifice, est dans ma bibliothèque depuis une quinzaine d’années. J’en avais commencé la lecture vers 15 ans puis avais abandonné après quelques dizaines de pages. Rétrospectivement, je pense que je n’étais pas prêt pour lire et apprécier pleinement cet ouvrage. Après l’avoir terminé ce matin, je ne regrette pas de l’avoir ressorti de mes étagères pour m’y replonger.

Ancien secrétaire général de la présidence de la République, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur et enfin Premier ministre, Dominique de Villepin peut se targuer d’une ascension élevée dans le cursus honorum français. Personnage flamboyant, doté d’un verbe lyrique (son intervention de 2003 au Conseil de Sécurité de l’ONU lors de la crise irakienne de 2003 a fait date), ayant même inspiré le personnage d’Alexandre Taillard de Worms dans l’excellente bande dessinée Quai d’Orsay, l’ancien chef du gouvernement se fait ici historien. Une carrière politique est-elle compatible avec une démarche historique ? L’engagement politique est-il compatible avec l’objectivité recherchée par l’historien ? Je le pense. La connaissance des arcanes du pouvoir, des institutions, des intrigues politiques donne à l’auteur une crédibilité pour analyser le phénomène des Cent-Jours, trop vite réduits à l’écrasant désastre de Waterloo. Personnage clé du pouvoir exécutif français durant une dizaine d’années, Dominique de Villepin maîtrise sans nul doute son sujet, l’ayant probablement vécu lui-même, lorsqu’il évoque les tensions politiques qui agitent la France des Cent-Jours et ce conflit non résolu des légitimités (populaire, militaire, divine, etc). Sous sa plume alerte, au-delà du récit des événements et des analyses qui en découlent, nous sommes souvent surpris de ressentir les émotions et passions qui habitent les principaux acteurs du drame de 1815.

Car les Cent-Jours ne se dénouent pas seulement à Waterloo. Le sort des armes dépend en réalité du théâtre politique, qui est à Paris. Malgré son spectaculaire Vol de l’Aigle en mars 1815, Napoléon doit désormais gouverner différemment. Ayant cessé de susciter la crainte, lui-même usé par 15 années de pouvoir et de guerre, il est contraint de composer avec les hommes qui ont rallié Louis XVIII en 1814 afin d’asseoir son autorité. D’où sa volte-face libérale et l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire. D’où l’association au pouvoir de figures aussi diverses, plus ou moins bienveillantes envers lui : Fouché, La Fayette, Carnot, Benjamin Constant. Les Cent-Jours sont avant tout politiques. Fragilisé politiquement, Napoléon n’a d’autres choix que de reconquérir sa légitimité et son autorité par la voie dans laquelle il excelle : la victoire sur le champ de bataille. Waterloo est avant toute chose une entreprise politique. La défaite sonne le glas des dernières ambitions politiques de l’Empereur qui est acculé à l’abdication par les Chambres. Un mois à peine après Waterloo, Napoléon vogue vers Sainte-Hélène et Louis XVIII est de nouveau installé sur le trône une fois les armées coalisées entrées en France. 

Euphorie du retour, retour aux réalités politiques, désastre militaire, complots, trahisons, invasion de la France. Dominique de Villepin relate les Cent-Jours avec un indéniable talent. Doté d’un sens de la formule, maniant les mots avec aisance, l’ancien Premier ministre donne à son ouvrage une dimension littéraire (« cette marée basse du cœur et de la raison fait le lit d’un universel scepticisme, d’un étrange attentisme, à rebours des passions violentes qui ont ponctué notre histoire », à titre d’exemple). Sa plume restitue le tragique des Cent-Jours, où bonapartistes, royalistes, libéraux, républicains et soldats français et coalisés s’affrontent sur les champs de bataille politique et militaire. Le tragique confine parfois à l’absurde lorsque Fouché, ancien conventionnel régicide et fossoyeur des espoirs de Napoléon, serre la main de Monsieur, futur Charles X, chef de file des ultra-royalistes, frère de l’homme dont Fouché a voté la mort. Des espoirs suscités par le Vol de l’Aigle à l’effondrement militaire et politique de l’Empire, le livre de Dominique de Villepin est passionnant à lire.

Certains points sont discutables (et des personnes expertes des Cent-Jours en décèleront probablement plus que moi). Le parallèle gaullien en conclusion serait à mettre en parallèle avec l’ouvrage d’un autre homme politique contemporain de Dominique de Villepin, le Mal napoléonien, de Lionel Jospin. Le récit de la campagne de Belgique de 1815 est illustré en grande partie par des extraits de Victor Hugo, admirables sur le plan littéraire, mais qui ne peuvent constituer une analyse rigoureuse des opérations. L’esprit de sacrifice ? Dominique de Villepin décrit Napoléon choisissant de se livrer aux Britanniques pour « s’offrir un empire sur les âmes », la grandeur dans la captivité plutôt que l’exil et la liberté ou la dictature et la guerre civile. Peut-on réellement parler de sacrifice ? La succession des événements après Waterloo présente plutôt un Empereur épuisé et hésitant, voire même en pleine dépression. Un homme dépassé par l’écroulement de l’Empire, qui se berne lui-même en espérant jusqu’au dernier moment être rappelé à l’occasion d’un ultime renversement de situation. Une fois captif et définitivement abandonné de tous, il livrera son combat pour la postérité. A Sainte-Hélène, Napoléon se fait d’abord la martyre de sa propre légende.
Où est l’esprit de sacrifice ? Plutôt du côté des grognards, les hommes dont l’ardeur et le dévouement les menèrent jusqu’en Belgique. Transcendés par le retour de l’Aigle, ils payèrent le prix du sang : environ 25 000 tombèrent à Waterloo. 

Lisez cet ouvrage passionnant, dont l’écriture apporte un souffle et une vigueur à des événements oscillant entre l’absurde et la tragédie. Dominique de Villepin nous propose un ouvrage riche sur une période également riche en bouleversements, ne manquez pas sa lecture. 

Août 2019. A lire. 

 

 

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