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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Napoléon à Sainte-Hélène : l’encre de l’exil, de Charles-Eloi Vial


La postérité de Napoléon Bonaparte repose autant sur la gloire de ses victoires que son exil et sa mort à Sainte-Hélène. Prisonnier des Britanniques après sa défaite à Waterloo, l’empereur déchu vécut les dernières années de sa vie sur cette île volcanique au milieu de l’Atlantique. Après avoir récolté la victoire en Italie ou au pied des Pyramides, être entré en conquérant dans Vienne, Berlin et Moscou, la captivité sur cette terre désolée apparaît comme une piètre fin pour un homme tel que Napoléon. Pourtant, plus que que Rivoli ou Austerlitz, Sainte-Hélène constitue le socle de la légende napoléonienne. Il revient à Charles-Eloi Vial de retracer avec talent la construction de celle-ci dans un livre magnifiquement illustré, Napoléon à Sainte-Hélène : l’encre de l’exil.

Cet ouvrage reconstitue les six années passées à Sainte-Hélène par Napoléon, mais également par ses compagnons d’exil et les Britanniques chargés de sa surveillance (en tête, Hudson Lowe, nommé gouverneur de l’île pour la durée de la captivité). De 1815 à 1821, cette communauté vit une déchéance physique et morale. Conscients de vivre cette expérience autour d’un personnage historique, quasiment tous ont consigné par écrit les années passées auprès de l’Empereur. La prétention de ce dernier à léguer à l’Histoire ses mémoires impose à ses proches un rythme de travail infernal. Le climat met à rude épreuves les organismes. La confrontation entre Napoléon et Hudson Love, chacun arc-bouté sur des questions de statut, implique tous les acteurs de l’exil dans un tourbillon de mesquineries, de surveillance tatillonne et d’échanges tendus. L’ennui. L’ennui pèse sur tous les hommes et les femmes qui entourent Napoléon, qu’ils soient français ou britanniques. Attaché jusqu’au bout à sa dignité impériale, Napoléon reste muré dans ses appartements, apathique, de plus en plus aigri au fur et à mesure qu’il comprend que la mort l’attend sur cette île. Un ennui mortel frappe la communauté de Sainte-Hélène, l’Empereur en tête. Tous attendent la fin d’une captivité dont le sens échappe désormais aux protagonistes. Les extraits de leurs journaux ou mémoires, que l’auteur manie avec aisance et habilité, parsèment cet ouvrage et redonnent vie à ces années d’ennui absolu, paradoxalement devenues historiques. 

Sous la plume de Charles-Eloi Vial apparaît un homme dépressif et malade, parfois ridicule lorsqu’il est décrit se promenant dans ses jardins en robe de chambre, un mouchoir rouge sur la tête, loin d’une image à laquelle la légende napoléonienne nous a habitué. De nombreux documents illustre la morne vie à Sainte-Hélène : lettres portant sur des querelles de préséance, calculs de comptable sur la consommation de bois par les Français, gribouillages de Napoléon, gravures plus ou moins fidèles à la réalité du quotidien sur l’île. Le soleil d’Austerlitz semble définitivement couché à la lecture du morne quotidien de Napoléon et ses proches. Et pourtant ce n’est pas l’image d’un homme malade au mouchoir rouge que nous lègue Sainte-Hélène. Trente ans plus tard, la médaille de Sainte-Hélène instaurée par Napoléon III devient le titre de gloire des grognards qui deviennent les héritiers du martyre de leur empereur. Le récit captive notre attention jusqu’au terme des 300 pages qui s’achèvent sur la construction de la légende napoléonienne. Car Sainte-Hélène fut l’ultime pierre de la pyramide. Le souvenir des longues journées passées à Longwood, des disputes entre membres de l’entourage s’efface au profit du martyre subi par l’empereur. Ainsi, Gourgaud, après avoir quitté l’île dépressif et malheureux, s’érige en plus fervent gardien du temple et décrit religieusement le retour des cendres de Napoléon vingt ans plus tard. A la langueur et la mélancolie succède l’apothéose.

L’auteur décrit de manière remarquable ce renversement des perspectives : prisonnier à Sainte-Hélène, l’Aigle prend malgré tout son envol dans la postérité. « Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle. On pourra persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie qu'on m'arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux » écrivait Saint-Just avec défi. Déchu et exilé, Napoléon, ancien officier des armées révolutionnaires, s’appliqua à suivre l’Archange de la Révolution dans les siècles et dans les cieux, et y parvint. 

Juillet 2019. 

 

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S
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. N"hésitez pas à visiter mon univers (lien sur pseudo). A bientôt.
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