Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons. »
L’Expiation, Victor Hugo.
Par ses vers, Victor Hugo a ancré en notre esprit une vision de Waterloo. Le célèbre chapitre des Misérables consacré à la bataille n’a fait qu’accentuer la fascination que nous pouvons ressentir pour elle. Ultime affrontement avant la chute définitive de l’Aigle. Choc des titans. Sanction de l’hybris. « Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? » s’exclame Napoléon sous la plume de Victor Hugo. Waterloo, bataille quasi-mythologique, encore énigmatique par bien des côtés tant les uns et les autres rejettent la responsabilité de la défaite sur les autres. Bataille dont les enjeux et le caractère multinational (Français, Prussiens, Britanniques, Belges, Néerlandais et des soldats de nombreux Etats allemands s’affrontent le 18 juin 1815) ancrent la mémoire de ce carnage dans plusieurs mémoires nationales.
Au-delà de la bataille (dont l’action se déroule dans un cadre espace-temps assez limité), c’est l’ensemble de la campagne de Belgique de 1815 qui fascine. En quatre jours, la plus courte de ses campagnes, Napoléon tente de transformer l’expérience de son retour de l’île d’Elbe en un succès définitif. L’offensive lancée le 15 juin l’oppose à deux armées alliées dans un rapport de force défavorable qui va du simple au double. Et pourtant. Le 16 juin à Ligny, l’armée prussienne est battue tandis qu’aux Quatre-Bras, Ney contient Wellington et l’empêche de se porter au secours de son allié prussien. De nombreux questionnements se posent encore sur la planification et la conduite et de ces deux batailles simultanées. Quand nous disions que Waterloo fascine encore. Quels ordres Napoléon a-t-il donné à ses maréchaux ? Pourquoi le Ier Corps de Drouet d’Erlon a-t-il erré inutilement entre deux champs de bataille le 16 juin ?
Tant de lectures sur Waterloo, un sujet qui apparaît inépuisable. Cela fait plusieurs mois que je ressens le besoin de m’y rendre, voir, parcourir la morne plaine de Victor Hugo, aller à Ligny, arpenter les Quatre-Bras.
Et je n’ai pas été déçu.
Première journée sur le champ de bataille. Journée fascinante, riche en émotions à l’idée de se retrouver sur un haut lieu de l’Histoire européenne, de donner corps à tant de lectures. Je me rends d’abord au Mémorial de 1815, lieu emblématique de Waterloo en raison de la Butte du Lion. Erigée par les Néerlandais quelques années après la bataille, elle commémore la participation du prince d’Orange, héritier du royaume des Pays-Bas (futur Guillaume II), blessé à l’emplacement même de la butte. Cette dernière, surmontée d’un gigantesque lion en fonte, a nécessité environ 30000m3 de terre. Les lignes de crêtes exploitées par Wellington pour déployer son armée sont arasées. « Ils ont défiguré mon champ de bataille » s’exclame le duc quelques années plus tard. Conséquences : les pentes, que devaient grimper les troupes françaises il y a 200 ans, sont maintenant moins raides.
Le sommet de la butte offre une vue incroyable sur tout le champ de bataille. J’y reste une bonne quarantaine de minutes, en plein vent, à contempler le paysage, repérer les points caractéristiques du terrain, étudier celui-ci. C’est l’occasion d’une photo improvisée mais amicale avec trois Britanniques (je ne la publierai pas ici). Deux cents ans plus tard, la tuerie cède la place aux sourires.
Visite du mémorial. Pour une vingtaine d’euros, je profite d’un pass me donnant accès à tous les musées de la région en lien avec la campagne de 1815. L’accueil est chaleureux. Superbe endroit, interactif, doté d’une riche collection d’uniformes de toutes les armées. Le célèbre et impressionnant panorama (112 mètres de long) nous immerge dans la charge de cavalerie de Ney. A noter le film en 4D reconstituant les principales phases de la bataille. Immersion garantie. Je me croyais avec l’infanterie française en train de prendre d’assaut la Haye-Sainte. Le squelette récemment retrouvé d’un soldat (présumé hanovrien, retrouvé avec une balle française entre les côtes) est exposé. Le carnage prend corps. Le sang d’environ 50000 hommes coula sur ce champ de bataille réduit comme un mouchoir de poche.
Ce point est frappant (le plus marquant de la journée même) : les distances entre les principaux lieux du champ de bataille sont réduites. Plancenoit, où la Jeune Garde et le VIe Corps français luttèrent désespérément face aux Prussiens est visible depuis les lignes anglo-alliées, juste en arrière des positions françaises. Ainsi les faibles intervalles entre les positions d’Hougoumont et la Haye-Sainte entravent l’assaut frontal lancé par Napoléon. Difficile de manoeuvrer : le terrain est peu favorable pour contourner le dispositif anglo-allié. Au loin vers le sud-est (où sont les Prussiens), nous distinguons un paysage boisé, coupé par de nombreux mouvements de terrain qui ralentissent la manœuvre. le temps est compté car, même battue, l’armée prussienne n’est pas encore détruite. Si Napoléon tarde à attaquer et vaincre Wellington, ce dernier battra en retraite et rejoindra son allié Blücher. Ce que veut à tout prix éviter l’Empereur.
Premier enseignement qui se dégage : les options étaient limitées pour les Français qui doivent obligatoirement neutraliser d’une manière ou d’une autre les points clés du terrain (Hougoumont et la Haye-Sainte) tenus par de solides troupes anglo-alliées. Une armée française animée par l’énergie du désespoir lancée dans un assaut frontal contre d’une autre armée solidement retranchée. L’affrontement promettait d’être sanglant.
Je m’approche à pied de la Haye-Sainte. Après une lutte acharnée, les Français finissent par s’emparer de la ferme en début de soirée. Celle-ci est telle qu’elle était en 1815. Plusieurs plaques rendent hommage aux combattants, français ou anglo-alliés, tombés ici. La valeur défensive du lieu saute aux yeux. A proximité, sur le croisement central entre la chaussée de Charleroi et Bruxelles (l’axe d’approche de l’armée française) et le chemin d’Ohain (dont le tracé marque approximativement le déploiement anglo-allié), quelques monuments où la ligne anglo-alliée fut sur le point de rompre. Derrière la Haye-Sainte se trouve un premier monument à Alexander Gordon, aide de camp de Wellington. Quelques dizaines de mètres plus haut, un autre monument est consacré aux Belges, souvent des vétérans des armées françaises, nombreux à Waterloo dans l’armée anglo-alliée. A quelques mètres, le monument aux Hanovriens de la King’s German Legion, unité allemande de l’armée britannique, qui défendit la Haye-Sainte jusqu’à sa chute. Le bouclier bleu au pied protège les monuments historiques des actes de guerre, conformément au droit des conflits armés. Monument à Picton, général britannique tué d’une balle dans la tête. Faute d’avoir pu récupérer son uniforme, il alla à la bataille en civil. Quelques heures plus tard, alors que je me remémore les lieux, je crois entendre les cris et la fusillade.
Toujours sur ce croisement, je vois au loin la ferme de Mont Saint-Jean (Napoléon donna initialement ce nom à la bataille), ancienne commanderie templière qui servit d’hôpital britannique. On y trouve un musée consacré aux blessés. Dur mais instructif. Une brasserie locale y produit désormais la bière de Waterloo, ainsi que du gin (et du whisky en 2020).
Je me tiens encore sur ce croisement. La contre-pente, derrière laquelle Wellington, abritait ses troupes, est bien visible. Le terrain ondule et masque les vues au loin. En 1815, croyant voir les troupes britanniques se replier alors qu’elles ne font que se réaligner, Ney lance sa gigantesque charge de cavalerie.
Je marche vers le sud le long de la chaussée de Charleroi. La pente descend. Sur ces champs d’apparence anodine, entre assauts d’infanterie et charges de cavalerie, de féroces combats se déroulèrent. Au pied de la pente, au nord, la ligne de crête, moins élevée qu’en 1815, se distingue clairement. Sur la pente, la Haye-Sainte, d’apparence inexpugnable, verrouille les accès.
Je suis désormais au milieu des positions françaises. Plusieurs stèles marquent les positions des unités françaises. Je pousse jusqu’à la Belle-Alliance. Blücher et Wellington s’y retrouvent et se congratulent le soir du 18 juin. Les Prussiens voulurent donner le nom de Belle-Alliance à la bataille. Waterloo, plus facilement prononçable pour un anglophone, fut préféré. Belle démonstration de cet adage qui dit que l’Histoire est écrite par les vainqueurs.
Le chemin du retour vers le Mémorial de 1815, toujours le long de la chaussée de Charleroi, me confirme la formidable valeur défensive de la position choisie par Wellington. Et encore, celle-ci a perdu quelques mètres en deux siècles.
Je termine la journée par l’étude de la carte achetée dans l’après-midi et l’emploi du temps du lendemain. Hougoumont, Papelotte, Plancenoit, la Belle-Alliance. Tout à pied. Un beau programme en perspective. Une bonne journée suffit a priori pour visiter tout le champ de bataille. Je prévois deux journées supplémentaires pour les Quatre-Bras et Ligny.
« C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er Léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les Hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir. »
Les Misérables, Victor Hugo
Je reprends ce matin mon bâton de pèlerin et me dirige à nouveau vers le champ de bataille. Il fait beau ce matin, le ciel sera bleu aujourd’hui mais un épais brouillard tapisse encore le sol. J’appréhende un peu à l’idée qu’il persiste toute la journée. Circuit prévu : Hougoumont - Belle-Alliance - Plancenoit - Papelotte.
Dès mon arrivée, la vue de la Butte du Lion est saisissante. Enveloppée d’un épais linceul blanc, elle trône, solitaire et fière. Le lion perce le brouillard. A côté brille un magnifique soleil. Immédiatement, cela m’évoque celui d’Austerlitz. Le destin aime l’ironie.
Je me dirige à pied vers Hougoumont.
Le brouillard s’étale à perte de vues, épouse les ondulations du terrain. Je distingue à peine les fermes de la Haye-Sainte et de la Belle-Alliance. Depuis deux siècles, le thème de la pluie dans la nuit précédant la bataille et du terrain détrempé au petit matin est retourné dans tous les sens. Le brouillard introduit une autre variante climatique. La physionomie du champ de bataille change totalement. Quelle forme aurait pris l’affrontement si tout le terrain avait été recouvert de cette purée de pois, limitant drastiquement la visibilité ? Les réflexions se succèdent. Arrivée surprise des Prussiens dont l’approche n’a pu être détectées? Ou alors se seraient-ils perdus dans le brouillard ? Combats encore plus décentralisés, faute de vision d’ensemble de la part des chefs ? Fusillades à très courte portée ? Quel appui de l'artillerie?
Un chemin depuis la Butte du Lion vers Hougoumont. En main courante à droite se trouve l’autoroute. A gauche au nord de la ferme, un bois. Pas si différent semble-t-il de celui qui était au sud d’Hougoumont en 1815. Je regarde les arbres et imagine les Français se glisser prudemment entre eux, les mourants adossés dessus.
Je pénètre dans ce bois. Je distingue à quelques dizaines de mètres les bâtiments d’Hougoumont. La position est difficilement visible depuis le plateau où s’étaient déployées les forces anglo-alliées. Seul un nuage de fumée (les incendies et la fusillade) devait signaler la position. Depuis la lisière, tout le plateau du Mont Saint-Jean s’offre à ma vue. Je peux presque voir les troupes françaises, la cavalerie, la Garde s’élancer à l’assaut du plateau.
Vue des côtés nord, ouest et sud d’Hougoumont (qu’on pourrait appeler une ferme-château). La position semble inexpugnable, et elle le fut. De hautes et épaisses bâtisses, renforcées pour un mur. Je comprends mieux pourquoi tout un corps d’armée français s’y est vainement cassé les dents.
La visite d’Hougoumont est très intéressante. Je souligne le très bon accueil sur place. Un film nous plonge dans l’ambiance des combats acharnés du 18 juin 1815. Le visiteur peut parcourir tout le domaine. Stèles et plaques parsèment les lieux et rappellent le côté meurtrier des affrontements pour la possession des lieux. Des red poppies dispersés un peu partout sur le domaine montrent la forte présence d’Hougoumont dans la mémoire britannique. Je parcours la cour de la ferme. A la porte nord, une quarantaine de Français, menés par le sous-lieutenant Legros, armé d’une hache, parvinrent à forcer la porte. Les guards la refermèrent derrière eux.
Je ramasse une châtaigne à cet endroit. Ce sera ma relique de Waterloo.
La chapelle d’Hougoumont prit feu durant les combats. Des blessés amenés à l’intérieur y périrent, brûlés ou asphyxiés. Le Christ suspendu date de 1815 et survécut aux flammes.
Les murs bordant le jardin d’Hougoumont, farouchement défendus par les soldats britanniques. Les Français débouchèrent par le sud d’un bois faisant face à la ferme (aujourd’hui disparu, assez similaire à celui existant au nord). La valeur défensive de la position apparaît clairement.
Je m’éloigne d’Hougoumont. Une piste traverse les champs et relie le plateau du Mont Saint- Jean à la ferme de la Belle-Alliance. Je me rapproche de celle-ci. En comparant avec mes cartes, je me rends compte qu’à quelques dizaines de mètres derrière moi, la division Bachelu se tenait ici. Elle participa aux sanglants assauts contre Hougoumont.
J'arrive à la ferme de la Belle-Alliance. Le bâtiment semble vide et abandonné. La colonne Victor Hugo rappelle le rôle de l’écrivain dans la mémoire de Waterloo. A quelques mètres, l’Aigle blessé rend hommage aux soldats français tombés à Waterloo.
A proximité, sur la route de Plancenoit se trouve un lieu indiqué comme étant le poste d’observation de Napoléon. Le lieu offre en effet une belle vue sur le champ de bataille, avec la Haye-Sainte et le chaussée de Bruxelles en plein centre. Hougoumont est invisible.
Historiquement, l’Empereur perdit la maîtrise des opérations sur place. Au lieu de simplement masquer la position, et ainsi la rendre inoffensive, les généraux français sur place s’acharnèrent inutilement. En se déplaçant vers le centre (la Haye-Sainte où les Français luttent pour s’emparer de la ferme) et l’aile droite française, aux prises avec les Prussiens, Napoléon perd de vue son aile gauche. Et ainsi le command and control de celle-ci ? Je regrette la faible mise en valeur de ce point. La végétation masque en partie les vues. Il manque une table d’observation pour le visiteur et ainsi s’immerger un peu plus dans l’esprit des généraux de 1815.
Je m’éloigne vers Plancenoit. Le 18 juin 1815, de furieux combats s’y déroulèrent entre l’armée prussienne rejoignant le champ de bataille et les réserves françaises envoyées par Napoléon.
La Jeune Garde du général Duhesme (tué) et le VIe Corps français du général Mouton (blessé et capturé) menèrent d’âpres combats face à des colonnes prussiennes de plus en plus en nombreuses. Plusieurs stèles rappellent ces durs affrontements. Le terrain à Plancenoit est différent, descend abruptement. Le hameau (plus petit qu’à notre époque) et le relief favorisaient sans nul doute la défense. Au loin, le paysage est boisé, découpé par de nombreux ravins. Une tentative française de débordement par l’est de l’armée anglo-alliée apparaît ici clairement illusoire.
Marquant l’extrémité de l’aile gauche anglo-alliée, la ferme de Papelotte est, à l’instar d’Hougoumont et la Haye-Sainte, un point d’appui mis en place par Wellington en avant de ses lignes afin de briser les assauts français. Le relief rend les approches difficiles depuis les lignes françaises. La ferme surgit au pied d’une pente, massive, épaisse. Les Français s’en emparèrent mais le succès fut de courte durée. Bientôt l’armée prussienne arriva.
Je remonte sur le plateau et m’engage sur le chemin d’Ohain (qui court d’est en ouest et marque approximativement le déploiement de la ligne anglo-alliée). Le relief est moins altéré que dans le secteur de la butte. Les raisons qui ont poussé Wellington à choisir ce terrain pour s’y implanter et accepter la bataille apparaissent naturellement. Une armée en offensive doit gravir une longue pente avant d’arriver au sommet de la ligne de crête.
Je quitte le champ de bataille et me dirige à présent vers le Musée Wellington, dans la petite ville de Waterloo. L’ancien quartier général du général britannique s’y trouve et a été aménagé en musée. Ce dernier est inégal. Je passe très rapidement sur les parties retraçant l’Histoire des Cent-Jours ou les généralités sur la bataille. Je m’attarde en revanche sur les reliques : le lit où mourut Alexander Gordon, aide de camp de Wellington dont le monument se trouve à quelques mètres de la Haye-Sainte, la jambe de bois de lord Uxbridge, commandant la cavalerie anglo-alliée et amputé durant la bataille, la une d’un journal britannique annonçant la victoire.
Le nom de Waterloo, plus facilement prononçable pour un anglophone, écrasa dans la mémoire les noms de Mont Saint-Jean et Belle-Alliance car Wellington y écrivit son premier rapport depuis ce lieu, pourtant éloigné de quelques kilomètres de la bataille. D’emblée, la bataille fut connue en Grande-Bretagne comme celle de Waterloo.
Ma boucle autour du champ de bataille (point de départ : Butte du Lion) m’aura fait parcourir 20 kilomètres à pied entre 09h30 et 16h00. C’est passionnant, presque irréel. Je n’en reviens toujours pas de me retrouver ici. La bataille prend un sens totalement différent à la vue des lieux de l’action. Au cours des heures de marche, les réflexions, les constats, les idées se succèdent. Ainsi qu’un sentiment de tristesse et respect lorsque je me rappelle qu’il y a deux siècles, plus de 180000 hommes s’entretuèrent ici même.
« Ah! Ces boulets, je voudrais qu'ils m'entrassent tous dans le vendre! »
Ney aux Quatre-Bras
Troisième journée consacrée à la campagne de Belgique de 1815. Après avoir arpenté et étudié le champ de bataille de Waterloo durant les deux premiers jours, je choisis de me rendre sur celui des Quatre-Bras. Je pars avec la même idée de me livrer sur place à une analyse tactique du terrain et d’en tirer quelques conclusions au sujet du combat mené il y a 200 ans.
Livrée le 16 juin 1815, la bataille des Quatre-Bras oppose l’armée anglo-alliée de Wellington à l’aile gauche de l’armée française, commandée par le maréchal Ney. Détachée du gros de l’Armée du Nord restée aux ordres de Napoléon, l’aile gauche tente sans succès de s’emparer du carrefour stratégique des Quatre-Bras. Ce croisement de routes est le point de jonction entre les armées prussienne et anglo-alliée et contrôle les accès vers Bruxelles. Un simple regard sur une carte et ce panneau suffit pour s’en rendre compte.
Restée dans l’ombre de Waterloo sa grande sœur, cette bataille me fascine tout autant. Le nom en premier. Très prosaïque à côté d’autres bien plus prestigieux : Marengo, Austerlitz, Wagram. Tout comme Waterloo, la rencontre des Quatre-Bras possède ses zones d’ombre et ses controverses : la marche inutile du Ier Corps français, l’entêtement de Ney, les ordres de Napoléon et Wellington. Les Français furent pourtant à deux doigts de s’emparer du carrefour. Qu’est-ce qui a échoué ? Qu’est-ce qui leur a manqué pour décrocher la victoire ? Au contraire, qu’ont fait les commandants anglo-alliés pour tenir jusqu’à la nuit ? Les événements qui se sont déroulés à Waterloo, et leur impact sur toute l’Histoire du continent européen, se sont probablement décidés aux Quatre-Bras, un engagement secondaire en comparaison d’autres batailles des guerres napoléoniennes, mais un moment clé de la campagne de 1815 en Belgique. La plus courte de celle menée par l’Empereur.
J’ai également pu refaire il y a quelques mois la bataille des Quatre-Bras par le biais ludique. Le wargame permet de rejouer des affrontements passés. Ces lieux que je parcours aujourd’hui, je les ai déjà étudiés sur une carte de jeu. Ces unités qui ont foulé le même sol il y a deux siècles, je les ai déplacées sous la forme de petits pions en cartons. Ce voyage sur le champ de bataille des Quatre-Bras me permet ainsi de donner corps à mes lectures, relier la réflexion tactique d’un wargame à celle menée sur le terrain, de marcher littéralement dans l’Histoire.
Entre-temps, avant de me rendre aux Quatre-Bras, je m’arrête à la ferme du Caillou. Situé à 4 kilomètres au sud de Waterloo, ce bâtiment est connu pour avoir été le dernier quartier-général de Napoléon dans la nuit du 17 au 18 juin. L’empereur des Français y passa la nuit, dormit peu, conféra le matin du 18 avec ses grands subordonnés avant de partir pour sa dernière bataille. Un petit musée s’y trouve. Modeste en taille à côté du Mémorial 1815, il s’est néanmoins révélé être très intéressant et je recommande sa visite. Muni d’un audioguide, je parcours chaque pièce : la chambre de Napoléon (avec une reconstitution de son lit de camp), la salle de conférence, un documentaire (avec l’excellent Bruno Colson) sur l’histoire de la ferme (incendiée et saccagée par les Prussiens le soir de la défaite), le verger où bivouaqua le 1/1er Chasseurs à Pied de la Vieille Garde.
L’ambiance de veillée d’armes est très bien restituée. Un frémissement s’empare du visiteur devant l’authentique table où Napoléon échangea sur la bataille à venir avec ses maréchaux. Dans le verger, il ressent le froid mordant de la pluie qui tombe sans s’interrompre sur les soldats de la Garde. De la peine devant un ossuaire aménagé dans le jardin. Il nous rappelle que les milliers de morts furent ensevelis dans des fosses communes sur le champ de bataille même, « Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants » (l’Expiation, Victor).
La route qui mène aux Quatre-Bras est une ligne droite qui file de Bruxelles à Charleroi en passant Waterloo. Je roule en direction du sud. J’arrive aux Quatre-Bras, un petit hameau constitué d’une brasserie et quelques magasins. Des feux régulent la circulation sur ce point de passage très animé. Le principal vestige de 1815 a disparu récemment : de nombreux appels n’ont pu préserver la ferme des Quatre-Bras, remplacée par un terrain en friche encombré par les déchets.
A proximité immédiate du carrefour se situent deux monuments. L’un est dédié aux troupes britanniques qui participèrent à la bataille. L’autre à la cavalerie belgo-néerlandaise qui se distingua durant la campagne. Je suis frappé par la place de Waterloo dans la mémoire militaire belge. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit aussi présente (plusieurs monuments, Butte du Lion bâtie pour cimenter l’unité du jeune royaume des Pays-Bas, qui incluait encore la Belgique, filiation d’unités). Est-elle encore vivace aujourd’hui, et plus particulièrement dans l’armée belge ?
Parmi cet héritage, une stèle nous rappelle que les Quatre-Bras furent aussi un combat fratricide. Formé d’anciens cavaliers belges du 6e Régiment de Chasseurs à Cheval français, le 5e Régiment de Dragons légers belges affronta ce dernier le 16 juin 1815. Le souvenir des campagnes passées et des victoires remportées ensembles fut vain : les anciens frères d’armes croisèrent le fer.
Je marche le long vers le sud de la chaussée. Au bord de celle-ci un gigantesque monument dédié au duc de Brunswick, tué aux Quatre-Bras.
Dès que je quitte le carrefour, je peux constater que la zone est favorable au défenseur. Le terrain ondule en lignes de crêtes successives, toutes perpendiculaires à la route principale. Ces mouvements de terrain masquent les vues et fournissent au défenseur des points sur lesquels se déployer. J’aperçois à quelques centaines de mètres au sud, le long de la route, la ferme de Gémioncourt. Tenue par des soldats alliés (d’origines allemande et néerlandaise) durant l’attaque française, cette position fut ensuite prise par les soldats du IIe Corps français. Elle tomba à nouveau aux mains des Anglo-Alliés après la contre-attaque lancée par Wellington. C’est une forte bâtisse, aux murs hauts et épais. Il constitue un point de passage obligé pour les Français progressant vers les Quatre-Bras.
Difficile de la contourner. Juste à l’est, un cours d’eau coulant vers un étang cloisonne la zone. A l’ouest, un bois aujourd’hui disparu, le bois du Bossu, empêche tout mouvement de débordement. Le champ de bataille m’évoque un entonnoir dont le fond aboutit au carrefour. Le Français est naturellement canalisé sur la route, sur laquelle se dresse la ferme de Gémioncourt. Plus il approche des Quatre-Bras, plus l’entonnoir se rétrécit, raccourcissant le front tenu par le défenseur.
Je craignais d’être déçu par ce tour du champ de bataille, qui n’est pas une zone protégée comme l’est Waterloo. Au contraire, hormis quelques points, il apparaît tel que j’ai pu l’étudier sur cartes auparavant. Je marche avec enthousiasme. Les noms sur une carte, dans un jeu ou dans un livre, prennent corps sous mes yeux. J’imagine les lignes de tirailleurs échangeant des coups de feu. La charge fantastique des cuirassiers de Kellermann. Ney tonnant en donnant ses ordres. Principale surprise : je n’imaginais pas le champ de bataille aussi petit. Durant toute la journée du 16 juin, les Français eurent en vue les Quatre-Bras, objectif si proche mais également si lointain, barré par une armée complète. Aujourd’hui, je m’y gare paisiblement avant d’arpenter la campagne.
Arrivé dans les lignes françaises, j’étudie le terrain, essaye de me représenter le bois du Bossu disparu. J’identifie deux positions plausibles, offrant une vision d’ensemble de la zone des combats, où Ney a pu se tenir. Cette visite des Quatre-Bras dépasse mes espérances. Je visualise la bataille, les mouvements de troupes. Je comprends les choix effectués, les manœuvres exécutés. Mes différentes lectures me laissaient penser que l’armée française, aux ordres de Ney, était loin d’avoir démérité sur le plan tactique il y a 200 ans. Cette journée me conforte dans mon opinion. Alors que le rapport de force s’est inversé au fil des heures qui passaient, Ney est parvenu à contenir une armée anglo-alliée en supériorité numérique croissante sur un terrain favorable au défenseur. Sur le plan opérationnel, la discussion reste largement ouverte.
J’achève ma boucle à l’est du champ de bataille en longeant la chaussée de Namur, vers le champ de bataille de Ligny, à une douzaine de kilomètres de là. Le terrain s’élève. Le 16 juin, les Français ont pris soin de placer une couverture entre les forces anglo-alliées et prussiennes. Décision évidente lorsque je visualise le terrain. Cette journée (14 kilomètres parcourus en 3 grosses heures) s’avère décidément stimulante sur le plan tactique.
Il est encore tôt, je décide d’aller jusqu’à Ligny afin de visiter le musée Ligny 1815. Je roule sur le chaussée de Namur, celle par laquelle Napoléon espérait voir les divisions de Ney débouler sur les arrières prussiennes. Un système de fléchage, « Napoléon en Wallonie », est en place et indique l’itinéraire suivi par l’Empereur en 1815. Il me mène sans difficultés à Ligny. Malheureusement, le musée n’ouvre qu’au printemps. C’est un bon prétexte pour revenir ! Je rentre.
Formidable outil qui m’accompagne depuis hier : la carte au 1/50000 achetée à Waterloo. Elle me permet de faire le tour des points d’intérêt (monuments ou lieux) liés à la campagne de 1815 avec une échelle suffisamment précise pour tout faire à pied.
Je compare régulièrement cette carte, contemporaine, aux anciennes afin de me rendre compte des éventuelles altérations du terrain entre 1815 et maintenant. Alors que j’emprunte une piste à tracteurs à travers un champ, je m’aperçois qu’elle figure déjà sur une carte d’époque de la bataille. Poussant la comparaison avec une carte de wargame, je me rends compte qu’elle y figure également. Il s’avère que le champ de bataille des Quatre-Bras est remarquablement préservé.
Prelude to Waterloo, Quatre-Bras : the French perspective, d’Andrew Field
Marshal Ney at Quatre-Bras : new perspectives on the opening battle of the Waterloo Campaign
Dernière journée consacrée aux visites des champs de bataille de 1815. Après Waterloo et les Quatre-Bras, il ne me reste plus que celui de Ligny. Se déroulant en simultané de celle des Quatre-Bras, la bataille de Ligny est la dernière victoire de Napoléon. Le 16 juin, il affronte victorieusement l’armée prussienne de Blücher. Blessé et mis à terre au cours des combats, le feld-maréchal prussien échappe de peu à la capture alors qu’un escadron de cuirassiers français passe à côté de lui. Les Prussiens sont durement étrillés et battent en retraite. Estimant qu’ils ont été mis hors de combat pour une durée d’au moins 48 heures, l’Empereur lance le maréchal Grouchy et 33 000 hommes à leur poursuite. La conduite de Grouchy et les ordres de Napoléon, qui a proclamé devant la postérité la responsabilité de son subordonné dans la défaite, font encore aujourd’hui l’objet de controverses.
Des trois batailles (il en reste une quatrième, Wavre, livrée entre Grouchy et un corps prussien le 18 juin), Ligny est celle que je connais le moins, hormis le déroulement général. Comme les Quatre-Bras, elle est éclipsée par Waterloo. Je possède bien quelques livres à son sujet mais ne les ai pas encore lus. Mes guides me permettent néanmoins d’avoir le minimum d’informations nécessaires (lieux de l’action, chronologie, forces en présence).
Avant de rejoindre Ligny, profitant de mon hébergement à quelques centaines de mètres seulement de la Butte du Lion, je fais une halte à son pied. Des quatre journées passées en Belgique, celle-ci s’annonce la plus ensoleillée. A 09h00, le temps est déjà superbe. Le ciel est bleu, sans un nuage. Le soleil brille au-dessus de Waterloo. C’est un froid sec, sans vent. Je suis devant la Butte. Le paysage est magnifique, vide. La lumière éblouissante. J’avais prévu de passer ici seulement quelques minutes avant de rouler vers Ligny. Mais je reste. C’est une atmosphère unique. Une émotion me saisit à nouveau. Je retarde mon départ, reste sur place à contempler les vagues du terrain, les toits de la Haye-Sainte, la Belle-Alliance au loin. Sous ce soleil éblouissant, je ressens l’appel du champ de bataille. Etrange sensation. Vision époustouflante.
Je fais mouvement vers une autre position, plus à l’est, à côté de la Haye-Sainte. Je suis en face de la Belle-Alliance, du côté des lignes britanniques, sur le chemin d’Ohain. Je bascule de l’autre côté, sur la position en vis-à-vis, au niveau des lignes françaises.
Je suis seul sur le champ de bataille. Ce dernier baigne littéralement dans la lumière. Instant unique. Un face-à-face avec l’Histoire. Durant ces quelques minutes, il n’y a que Waterloo, les milliers d’hommes qui passèrent ici, et moi. J’en perds mon souffle.
En route vers Ligny. Je me laisse porter sur la chaussée de Bruxelles vers Charleroi, l’itinéraire emprunté par l’Armée du Nord en 1815, repasse devant la ferme du Caillou. Je fais une halte à Genappe où se trouve la tombe du général Duhesme, commandant la Jeune Garde et mortellement blessé à Plancenoit, ainsi que l’Auberge du Roy d’Espagne. Ce bâtiment accueillit successivement Louis XVIII, Jérôme Bonaparte, Wellington, Blücher et Duhesme y mourut de ses blessures.
Je constate au passage que le mausolée de Duhesme se dégrade. Quelle action mener? J’qi constaté sur plusieurs plaques qu’il existe une Association pour la Conservation des Monuments napoléoniens. Est-elle encore active?
Aux Quatre-Bras, je prends la direction de l’est, vers Namur. Le nom de Sombreffe, un objectif des troupes françaises il y a 200 ans, apparaît sur un panneau. Je traverse Marbais. Ney était supposé y envoyer une division pour appuyer l’action des corps d’armée engagés à Ligny. Les panneaux se font plus précis. Saint-Amand. Wagnelée. Brye. Ligny. Des combats acharnés opposèrent Prussiens et Français dans ces localités. Ce champ de bataille est plus difficile à aborder que celui de Waterloo ou des Quatre-Bras. Fragmenté en plusieurs localités, le terrain est beaucoup plus urbanisé, moins préservé. Les monuments y sont plus rares. Je vais jusqu’à Fleurus, juste au sud de Ligny. Liée à l’Histoire de France, la ville de Fleurus connut trois grandes batailles impliquant les armées françaises. En 1690, le maréchal de Luxembourg bat les troupes de la Ligue d’Augsbourg. En 1794, les soldats de la République, menés par le général (futur maréchal, qui espéra longuement le titre de duc de Fleurus) Jourdan et Saint-Just, sont victorieux face à une armée autrichienne. Le lieu semble prédestiné au succès des armes de la France. Vingt-et-un ans après la victoire des armées révolutionnaires, Napoléon y concentre à son tour ses troupes en vue d’affronter les Prussiens. A Fleurus se trouve le moulin qui servit d’observatoire à Napoléon (en pierre, est-ce celui d’origine ?). A son pied, une stèle célèbre les trois victoires françaises évoquées plus haut. Le moulin est hélas inaccessible et nous ne pouvons pas obtenir la même vision du champ de bataille qu’avait l’Empereur.
Ma carte m’indique des chemins sur les hauteurs sud de Ligny. J’explore les environs, gare mon véhicule et entame une marche. En comparant ma position avec le déploiement des troupes en 1815, je me rends compte que l’artillerie française occupait cet emplacement. De Ligny, je ne vois que les toits et le clocher quelques centaines de mètres en contrebas. En revanche, de l’autre côté du thalweg, un plateau s’offre à ma vue, et donc à celle des artilleurs il y a deux siècles. Les régiments prussiens se tenaient en face et furent durement pilonnés par les canons français. Contrairement à Waterloo où les contre-pentes offrent un abri contre le feu de l’artillerie, ce champ de bataille expose bien plus les soldats aux boulets ennemis.
D’où je suis, je peux étudier le champ de bataille, poursuivre les comparaisons entre le paysage actuel et les dispositifs adoptés par les armées prussienne et française en 1815. La ligne prussienne était en équerre et s’appuyait sur la succession de villages et hameaux (Wagnelée, Saint-Amand, Ligny) au fond des ravins. Leurs positions en contrebas les assujettissent aux tirs d’artillerie français et affaiblissent leur valeur défensive. Leur défense était nécessaire afin de contrôler les accès au plateau où Blücher avait déployé ses trois corps d’armée. La position n’est pas très bonne, difficilement défendable face à un adversaire effectuant une attaque concentrique tandis que le plateau en surplomb offre un champ de tir rêvé pour tout artilleur. Ce choix tactique peu probant est néanmoins cohérent avec la décision des généraux prussiens de garder la liaison avec l’armée de Wellington. Le déploiement en avant de Sombreffe, au-dessus de Ligny, maintient les lignes de communications ouvertes. Contrairement à Wellington deux jours tard plus à Waterloo, Blücher n’accepte pas la bataille car il estime disposer de la position la plus favorable, mais parce qu’il compte sur la promesse de Wellington d’arriver à son secours. Ce sera ici le principal succès de Ney : fixer le général britannique aux Quatre-Bras et laisser Blücher seul face à Napoléon. Celui-ci remporte effectivement la victoire, sans pourtant parvenir à anéantir l’armée prussienne qui bat en retraite.
Le 16 juin, et non le 18, fut à mon sens la véritable journée décisive de la campagne. Les conditions étaient réunies pour battre l’armée prussienne, l’anéantir ou exploiter le succès dès la journée suivante.
Après ces réflexions, je descends dans le village de Ligny. Cinq points d’intérêt y sont répertoriés. La Ferme d’en Haut et la Ferme d’en Bas (deux points d’appui prussiens), une stèle en hommage aux soldats français, un canon et le Centre Général Gérard, un petit musée saisonnier hélas fermé en décembre. Les Prussiens défendirent avec acharnement les localités qu’ils tenaient. Les Français payèrent un lourd tribut pour s’en emparer et il fallut un ultime coup de boutoir de la Garde pour décider de la victoire. Ce fut un combat sans quartier. Les villages furent pris et repris. Plusieurs centaines d’hommes périrent dans les rues en flamme. Aujourd’hui, je les parcours d’un pas tranquille, livré à mes observations et mes réflexions.
Je monte ensuite à Brye, un hameau qui marque peu ou prou le centre du dispositif prussien sur le plateau surplombant Ligny. Une perspective inverse de celle décrite plus haut s’offre. Je vois cette fois les hauteurs occupées par les Français en1815, ainsi que cette chaîne de petits villages en contrebas.
J’en ai terminé avec Ligny. Cette visite m’a moins marqué que Waterloo ou les Quatre-Bras. Je m’y attendais : l’urbanisation rend le champ de bataille moins visible tandis que je ne connais pas assez les détails de l’affrontement pour visualiser précisément la manœuvre. Ce dernier point est un autre bon prétexte pour revenir une fois quelques lectures supplémentaires ingurgitées !
Il me reste du temps. Je décide de profiter des dernières heures d’ensoleillement pour retourner à Waterloo. Il y a 200 ans, le coucher du soleil était une délivrance ou un frein, selon que l’on soit du côté du vaincu ou du vainqueur. Les armées ne se battaient pas la nuit.
A Waterloo. Une dernière fois. Pour un ultime tour à pied. Le soleil commence déjà à descendre vers l’ouest. Il y a du monde, beaucoup plus de monde que ce matin. Je croise trois cavalières sur leurs poneys au pied de la Butte du Lion. La vision me fait sourire. En 1815, ici même, des milliers de cavaliers français acharnés à la victoire, déterminés à vaincre ou mourir, chargèrent furieusement l’infanterie anglo-alliée. Le savent-elles ?
Vers Hougoumont. La veille, j’ai terminé la lecture d’un chapitre sur l’assaut français. Revoir les lieux me permet de visualiser les combats, les manœuvres. Du bois au nord d’Hougoumont, par où débouchèrent les bataillons français, il ne reste que trois châtaigniers. Je l’ignorais lors de mon précédent passage. Je m’approche, contemple l’écorce. Me demande si ces marques que j’observe peuvent constituer des marques des combats. Une vingtaine de mètres sépare la lisière des murs d’Hougoumont. Un feu nourri accueillit les Français à leur sortie du bois.
Je marche sur le chemin reliant Hougoumont à la Belle-Alliance, me tourne vers la Butte du Lion. J’imagine à nouveau l’attaque de la Garde impériale. Un extrait du film Waterloo, de Sergueï Bondartchouk restitue cet instant de manière impressionnante.
Une vague invincible semble être prête d’emporter la victoire avant de s’effondrer et d’entraîner l’armée française dans la déroute. Je pense que Waterloo était décidé avant même le commencement de la bataille. Et si victoire il y avait eu, elle aurait, à mon avis, été similaire à Ligny, ne faisant que repousser l’échéance à un autre jour. Mais à cet instant, lorsque que la Garde recule, l’Armée du Nord se désintègre. Lorsque la Garde recule, le glas sonne pour Napoléon et sa dernière aventure impériale. Et je me tiens ici, à quelques centaines de mètres du lieu où la catastrophe s’est produite. La Garde recule. Il me semble entendre ce cri résonner dans l’air.
Me voilà une dernière fois au pied de la Butte du Lion, avant de reprendre ma voiture. Je reste quelques minutes à observer le paysage. J’ai du mal à quitter cet endroit. Tant d’images, de réflexions, d’émotions en quelques jours. Il faut cependant partir. Je m’arrache à cet endroit. Après quelques pas, je jette un dernier regard par-dessus mon épaule.
Je reviendrai, sans nul doute.
D’un point de vue logistique, le voyage s’est organisé de la manière suivante :
- arrivée en train à Bruxelles ;
- location sur place d’une voiture (trentaine de minutes de route entre Bruxelles et Waterloo) ;
- hébergement en Airbnb à proximité immédiate du champ de bataille.
Les villes de Braine-l'Alleud et Waterloo sont assez actives et disposent de nombreux commerces. Hormis un après-midi à Bruxelles (très belle ville qui mérite une visite plus longue), je suis resté sur place durant la totalité du séjour, l'objet de mon voyage étant très spécifique.
Pour une visite approfondie du champ de bataille de Waterloo, je recommande deux jours afin de pouvoir visiter les différents musées (dans un premier temps afin de s’imprégner de la bataille et son déroulement), puis parcourir (à pied, c’est l’idéal) le terrain. Le parcours à pied prend une bonne journée. La saison hivernale raccourcit les journées. Globalement, il faisait jour de 08h30 à 17h00. Dès 15h30, la visibilité commence à baisser. J'ai eu beaucoup de chance au niveau de la météo : aucune pluie. Seulement du brouillard non persistant qui n'a fait qu'ajouter plus de beauté et de mystère aux lieux.
Un pass musée est disponible et constitue un ticket commun aux quatre musées de Waterloo. Assez pratique.
Un ou deux jours supplémentaires sont nécessaires à mon sens si l’on veut prendre le temps de visiter également les Quatre-Bras et Ligny.
Je n’ai jamais roulé plus d’une demi-heure. Les distances entre les différents lieux (Waterloo / Quatre-Bras / Ligny) sont assez courtes.
J’ai utilisé, en plus de la carte mentionnée plus haut et à mon avis indispensable, les guides ci-dessous (dont trois en anglais) :
- Walking Waterloo, a guide, de Charles Esdaile ;
- Waterloo, battlefield guide, de David Buttery ;
- On the fields of Glory, de Andrew Unffindell et Michal Corum ;
- Waterloo 1815, découverte du champ de bataille, par le comité de Waterloo.
Quelques références bibliographiques (en anglais ou français). Il existe des centaines et des centaines d'écrits sur Waterloo, pro-français ou pro-allié, anti-napoléonien ou pro-napoléonien. Je n'évoquerai ci-dessous quelques références, que j'ai lu personnellement. D'autres pourront s'y ajouter au fur et à mesure car la littérature sur le sujet est inépuisable :
Les Cent-Jours, ou l'esprit de sacrifice, de Dominique de Villepin
Les Mémoires de Napoléon sur les Cent-Jours et la campagne de 1815
La campagne de Belgique de 1815 analysée par Carl von Clausewitz
Waterloo, d'Alessandro Barbero : lu mais non chroniqué, récit de la bataille par un historien italien. Passionnant! (en français)
1815, de Henry Houssaye : lu mais non chroniqué. Remarquablement bien écrit, l'un des ouvrages de référence malgré sa date de publication. A lire avec un esprit critique car Houssaye est clairement dans une posture pro-Napoléon.
Gallica, le site des archives numérisées de la BNF propose de nombreux documents sur Waterloo, dont certaines sources primaires. C'est une mine d'or dans lequel on se perd. J'y ai trouvé plusieurs textes aussi passionnants les uns que les autres.
Ludiquement, le sujet est également traité de nombreuses manières, que ce soit en jeux informatiques, en wargames ou en jeux de figurines. Mais commencer, je vous propose déjà un grand classique revisité à la sauce 1815!
Liens utiles :
Centre Général Gérard, musée de la bataille de Ligny
Dernier QG de Napoléon, le musée