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Désireux d’approfondir dans le texte ma compréhension de l’art opératif soviétique, je me suis procuré ce livre : the Evolution of Operational Art. Ce court ouvrage d’une centaine pages a été traduit en anglais par l’US Army et se trouve à un prix modique en format papier (ou ici gratuitement). Son auteur, le kombrig (à l’époque où l’URSS avait aboli les grades, ne laissant en place que des rangs fonctionnels) Georgii Samoilovitch Isserson, était un officier général de l’Armée rouge réputé comme étant l’un des contributeurs de la riche pensée militaire soviétique de l’Entre-deux-guerres. Sa carrière ne fut pas à la hauteur de sa production intellectuelle : rétrogadé puis arrêté et renvoyé de l’armée en 1941, il ne participa pas à la Seconde Guerre mondiale avant d’être finalement réhabilité en 1955. Il meurt en 1976.
Il faut être à tête reposée afin de pouvoir pleinement apprécier the Evolution of Operational Art (l’Evolution de l’Art opératif en français). Mes tentatives de lire dans le métro ou le bus n’ont en effet guère était concluantes. Ce qui caractérise ce livre court est à la fois sa densité et sa clarté. Si le style d’Isserson est dense, il possède l’art de la formule percutante pour conclure ses argumentations. En avant-propos, le traducteur explique notamment ses efforts pour traduire vers l’anglais une langue russe d’une très grande précision.
Sur le fond, Isserson procède à une analyse des opérations depuis les guerres napoléoniennes jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il retire de ses observation une extension progressive dans la largeur puis la profondeur des opérations tandis que la mécanisation met fin au blocage causé par la guerre de tranchées. Surtout, l’avènement du char redonne à l’offensive sa supériorité sur la défensive. Les opérations doivent ainsi être envisagées non plus de façon linéaire mais dans la profondeur, avec un échelonnement de l’attaquant afin d’exploiter la percée. Le char, qui offre une mobilité tactique sous blindage à un armement lourd, ouvre également la voie à une mobilité opérative susceptible de frapper dans la profondeur du système défensif ennemi.
Le propos est dense mais passionnant, à mettre en perspective avec les opérations menées par l’Armée rouge (Bagration en 1944, Mandchourie en 1945) ou plus récemment par l’armée russe en Ukraine. The Evolution of Operational Art laisse entrevoir au lecteur la richesse de la pensée militaire soviétique. Je ne suis pour ma part pas certain d’avoir perçu encore toutes les subtilités, les nuances ou les limites du livre (l'auteur tourne par exemple son propos exclusivement sur l'offensive sans aborder la défensive au niveau opératif). Un tel texte se médite, se laisse comparer, nécessite des allers-retours dans le temps pour réellement en apprécier la saveur et la portée. Il s’agit d’une lecture plutôt technique mais riche dont le potentiel de réflexion ouvre vers des perspectives intellectuelles passionnantes.
Juin 2022