le Général Gouraud, un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant, de Julie d’Andurain

Dans la vie de chaque promotion de Saint-Cyr, le choix du nom de la promotion est un moment fort. Il détermine pour les décennies suivantes, y compris après l’extinction de la promotion, l’identité de cette dernière. Il est habituel lorsqu’on évoque un saint-cyrien de dire qu’il appartient à telle promotion (« il est de la Francoville », au hasard). Dans le cas de la mienne, au cours du vote pour le choix de potentiels parrains de promotion, le général Henri Gouraud a été présenté. D’emblée, ce choix a été vivement discuté par des élèves-officiers étrangers africains. Cet épisode illustre l’ambivalence de la mémoire du général Gouraud. Figure prestigieuse de la Grande Guerre, Gouraud est au premier rang des bâtisseurs de l’empire colonial français et est associé à son histoire, pour le pire et le meilleur. Face à cette ambivalence mémorielle, le travail historique place le sujet dans une perspective scientifique et offre une finesse d’analyse, fondée sur des sources et références solides. Il n’a pas vocation à juger ou trancher mais à proposer des clés de compréhension. Cette biographie, le Général Gouraud, un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant, par Julie d’Andurain en constitue un exemple.

Le travail de biographie ne constitue pas la synthèse des faits et gestes successifs, mois par mois, année par année, d’un individu. C’est bien ce qu’illustre cet ouvrage de Julie d’Andurain dont la thèse porte sur le général Gouraud. Officier saint-cyrien, chef militaire plongé dans l’entreprise coloniale, officier général placé à la tête de commandements majeurs, figure de poids dans la haute hiérarchie militaire de l’Entre-deux-guerres, homme de réseau et incarnation de la mémoire combattante, Henri Gouraud est un objet d’études multidimensionnel. A travers lui, c’est par exemple une meilleure compréhension la naissance de l’Afrique occidentale française ou de la Syrie et du Liban qu’acquiert le lecteur. Dans le champ mémoriel, exemple pris parmi d’autres, le poids et l’influence de Gouraud sont illustrés par son rôle moteur dans la composition de la sonnerie Aux morts, toujours utilisée aujourd’hui (je l’ai appris en lisant ce livre). Le général Gouraud n’est pas simplement un individu dont la vie se résume à l’uniforme et des années de service entre l’Afrique, le Levant et la Champagne. Il incarne la trajectoire d’un officier de la III^e République caractérisée par une ascension jusqu’au sommet du cursus honorum militaire.

Ce sommet place ses titulaires à la confluence du politique et du militaire avec cependant des limites exposées par Julie d’Andurain (ainsi, le rôle secondaire accordé aux militaires dans les négociations de l’après-guerre). Le désir de Gouraud de retrouver une fonction avant tout militaire, bien qu’éminemment exposée d’un point de vue politique (gouverneur militaire de Paris) est un exemple du malaise que peut susciter chez un militaire l’exercice d’une fonction trop politique (en l’occurrence son haut-commissariat au Levant). Plus globalement, une telle biographie éclaire les relations complexes entre le pouvoir politique et l’autorité militaire et irrigue la réflexion sur ce sujet. A l’échelle de sa carrière, que ce soit durant sa période coloniale d’avant-guerre ou plus tard comme officier général, Gouraud illustre le large spectre de cette relation. Peut-être y a-t-il un fil à tirer en le comparant à deux de ses contemporains : d’un côté, Pétain qui ne cesse de graviter autour du pouvoir jusqu’à s’en saisir ; de l’autre de Gaulle dont les deux étoiles de général de brigade sont devenues après le 18 Juin un symbole avant tout politique. A partir de quel moment le militaire franchit-il le Rubicon politique ? Est-ce une question de personne ? Est-ce une question de contexte ?

Ardent patriote, républicain loyal, profondément croyant, opposant farouche à l’hitlérisme, Gouraud, homme de son temps, mais également acteur de ce dernier, est exposé de manière claire et précise à travers cette biographie de Julie d’Andurain. Nourri de références (placées en bas de pages, le lecteur appréciera) notamment tirée d’un fond d’archives richement pourvu, elle ouvre au lecteur l’accès au récit et à l’analyse d’une vie bien riche. Si la mémoire reste une donnée ambivalente, l’histoire, à la lecture de cette biographie, gagne en clarté.

Décembre 2022