François-Joseph, de Jean-Paul Bled

J’évoquais dans ma précédente recension la vague d’achats de livres portant sur l’histoire austro-hongroise. Après ma lecture de l’Agonie d’une monarchie - Autriche-Hongrie, 1914-1920, de Jean-Paul Bled, je me suis jeté sur un autre ouvrage du même auteur : François-Joseph. Parue en 2011, la biographie de l’empereur d’Autriche-Hongrie est disponible en format poche dans la collection Tempus. Qui était-il ? Quelle fut son œuvre politique ? J’aime les biographies car derrière les actions d’un individu et de leurs conséquences, elles nous permettent de comprendre quels furent ses ressorts intimes. Ce sont quelques unes des questions que je me suis posées au sujet de François-Joseph.

Ce dernier ne doit pas être réduit au falot Franz des films Sissi Impératrice ou au vieil homme chauve au visage orné d’impressionnants favoris dont les photographies nous ont légué l’image. Mort en novembre 1916 à l’âge de 86 ans, François-Joseph a traversé le XIX^e siècle. Remise en perspective, sa vie présente quelque chose de vertigineux. Né en 1830, monté sur le trône impérial autrichien à 18 ans, contemporain de Metternich et Napoléon III, il meurt en pleine Première Guerre mondiale, à l’heure des mitrailleuses et des armées de masse. En 1848, l’armée autrichienne combat encore au fusil à silex et porte l’uniforme blanc des Habsbourg. La mort de François-Joseph le 21 novembre 1916 suit de deux mois le premier emploi des chars sur un champ de bataille. Après la mort de la reine Victoria en 1901, la longévité de son règne fait de lui la figure tutélaire des monarques européens. Si je devais comparer grossièrement la figure de François-Joseph à une figure de notre époque, celle qui me vient en tête est celle d’Elisabeth II, devenue reine en 1952, morte en 2022. Mes visites des hauts lieux de la dynastie des Habsbourg à Vienne (Hofburg, château de Schönbrunn, Crypte des Capucins, où François-Joseph vécut et repose désormais) en décembre 2022 m’ont de plus permis de toucher du doigt la vie de l’empereur d’Autriche, roi de Hongrie.

L’ouvrage de Jean-Paul Bled, copieuse biographie de près de 800 pages, offre l’occasion de s’immerger plus profondément dans celle-ci. Le contenu du livre pourrait paraître déséquilibré et n’être qu’une être histoire politique de l’Autriche-Hongrie. Les 68 ans de règne de François-Joseph, associés à l’implication de l’empereur dans les affaires de l’Etat, rendent impossible la dissociation de l’homme et du monarque. Il est difficile de faire autrement avec François-Joseph. Comme le souligne Jean-Paul Bled, ses dernières paroles à ses valets la veille de sa mort (« demain matin, [réveil à] trois heures et demie ») sont à l’image d’une vie dévouée à la dynastie des Habsbourg et son empire. Tout au long de son livre, l’auteur nous présente un souverain au train de vie spartiate, inflexible dans le dévouement à son devoir, père et époux marqué sa vie privée par les morts successives et violentes de ses proches. Derrière l’empereur transparaît un homme simple, plutôt sympathique et même touchant.

Souverain absolutiste durant la première décennie de son règne, François-Joseph achève ce dernier en souverain constitutionnel promoteur du suffrage universel. Cette évolution apparaît de prime abord surprenante mais prend tout sens à la lecture de cette biographie. Au-delà du chef d’Etat dont toute l’éducation et la culture politique furent ancrées dans le conservatisme, Jean-Paul Bled nous présente surtout un monarque pragmatique dans sa pratique politique. Celle-ci eut avant tout pour l’objectif le maintien d’un seul tenant de l’Empire austro-hongrois. Son éclatement en 1918, deux à peine après la mort de François-Joseph, ne doit pas laisser penser que le bilan de son règne fut mauvais. Grâce au livre de Jean-Paul, le lecteur acquiert au contraire une vision nuancée et, à travers celle-ci, une meilleure compréhension de l’histoire de l’Europe centrale.

Avril 2023