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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Prelude to Waterloo, Quatre-Bras : the French perspective, d’Andrew Field

J’ai terminé fin juin Prelude to Waterloo, Quatre-Bras, the French perspective, d’Andrew W. Field. Il est remarquable qu’un auteur anglo-saxon choisisse de traiter une bataille peu connue, celle des Quatre-Bras, à travers une perspective française. Livrée le 16 juin 1815, opposant Wellington et son armée anglo-alliée à l’une des ailes de l’Armée française du Nord, commandée par le maréchal Ney, la bataille des Quatre-Bras est peu traitée dans l’historiographie de la campagne de Belgique de 1815. Waterloo écrase de tout son poids cette campagne, tant sur le plan littéraire que sur le plan historique, et la bataille de Ligny, remportée le même jour par Napoléon face aux Prussiens de Blücher, est parée du titre de dernière victoire de l’Empereur. Parfois expédiée en quelques lignes, voire une phrase, la bataille des Quatre-Bras recèle pourtant une foule d’enseignements intéressants. C’est à ce titre que le livre de Andrew Field est passionnant à lire : il remet à l’honneur une bataille méconnue, parfois oubliée, dont les conséquences sur la bataille de Waterloo deux jours plus tard furent immenses.

Andrew Field débute son livre par une mise en contexte de la bataille des Quatre-Bras au sein de la campagne de 1815. En infériorité numérique sur le plan stratégique (des armées alliées, russes, prussiennes, autrichiennes convergent vers la France redevenue impériale à l’occasion des Cent-Jours), Napoléon choisit de compenser la puissance écrasante de la Coalition en prenant l’initiative en Belgique. Deux armées coalisées s’y concentrent. Pour l’évadé de l’île d’Elbe, il s’agit de manœuvrer en position centrale entre Wellington et Blücher afin de les détruire de manière séparée tout en exploitant leurs lignes de communication opposées (les ports de la côte belge à l’ouest pour les Britanniques, Liège pour les Prussiens). La division en trois de l’armée impériale (une aile commandée par le maréchal Ney, une aile commandée par le maréchal Grouchy, la Garde impériale aux ordres de Napoléon) doit permettre de contenir une des deux armées adverses tout en détruisant l’autre. Andrew Field développe dans le détail l’organisation du haut commandement français (le maréchal Soult est contesté en tant que major général de l’armée, Ney n’a rejoint son poste que le 15 juin, veille de la bataille et et ne connaît ni ses subordonnés ni ses troupes). L’idée de manœuvre est risquée mais est un succès. Wellington avoue sa surprise face à l’entrée en Belgique des Français le 15 juin. Ney, qui commande l’aile gauche, a reçu pour mission de s’emparer du carrefour des Quatre-Bras. Ce croisement de routes contrôle la route vers Bruxelles (entre les Quatre-Bras et Bruxelles se trouve Waterloo) mais aussi les communications entre Wellington et Blücher. S’en emparer va dans le sens de l’idée de manœuvre de Napoléon car les deux armées alliées seront coupées l’une de l’autre, et ne pourront donc s’appuyer mutuellement. 

Le 16, l’Armée du Nord attaque l’armée prussienne à Ligny. Quant à Ney, il débute tardivement son attaque contre les Quatre-Bras, défendus par une seule division néerlandaise. Cette dernière est rapidement repoussée mais le retard de Ney a permis l’arrivée in extremis de renforts alliés. La résistance se durcit rapidement et malgré leur supériorité tactique, les Français ne parviennent pas à s’emparer du carrefour, faute de réserves. Ney s’entête et relance son action tandis qu’à Ligny, la pression française met en déroute l’armée prussienne. Il ne manque qu’un dernier coup de boutoir à Napoléon pour obtenir une victoire décisive, et ainsi parachever son idée de manœuvre. Il fait appel au Ier Corps de Drouet d’Erlon, aux ordres de Ney mais non engagé, afin de prendre à revers l’armée prussienne et finir de la détruire. Drouet d’Erlon s’exécute mais reçoit au même moment un ordre du Ney lui ordonnant de rejoindre les Quatre-Bras. Pris entre son supérieur hiérarchique direct et le chef de l’armée qui court-circuite la chaîne hiérarchique, Drouet d’Erlon hésite et finit par adopter une demi-mesure : une division et des éléments de cavalerie marchent vers Ligny, où ils ne joueront qu’un rôle marginal, tandis que lui-même et le gros de son corps d’armée exécutent une contre-marche vers les Quatre-Bras (sans participer à la bataille car la nuit est tombée). Andrew Field intitule si justement ce chapitre « Ordre, contre-ordre, désordre ». L’indécision ou le manque d’intelligence de situation de certains chefs français sèment le désordre dans l’exécution de l’idée de manœuvre de Napoléon. Focalisé sur la prise des Quatre-Bras (qui reste aux mains de Wellington), Ney ne comprend pas qu’il ne joue qu’un rôle secondaire et qu’il lui suffit de fixer Wellington aux Quatre-Bras tout en libérant le Ier Corps vers Ligny pour offrir à la victoire à son empereur. Andrew Field analyse avec précision l’état d’esprit des généraux français, peu enthousiastes à l’idée de repartir en campagne mais tiraillés entre leurs convictions personnelles (plus ou moins favorables à l’Empire ou aux Bourbons selon les uns et les autres et la défense de la France). La désertion dès le début de la campagne d’un commandant de division et de son chef d’état-major sème la suspicion dans les rangs français. Expérimentés et valeureux, les vétérans des guerres de l’Empire doutent cependant de leurs chefs. Le récit et les recherches de l’auteur sur les échanges réels (de vive voix ou par courriers) entre Napoléon et ses subordonnés sont de passionnants exemples, pleins d’enseignements, sur la relation entre un chef et ses subordonnés. Ce livre rappelle bien qu’une bataille est remportée non seulement par les combattants sur le terrain, mais aussi et surtout par ses chefs et leurs décisions. 
Après avoir relaté le déroulement des opérations dans un style fluide, agréable et vivant, Andrew Field stoppe régulièrement son récit afin de développer des analyses des événements et surtout l’état d’esprit et le processus de décision des chefs français. Ce dernier, particulièrement laborieux alors que l’idée de manœuvre de Napoléon est brillante, coûte aux Français une victoire décisive à Ligny. Deux jours plus tard à Waterloo, la non-destruction de l’armée prussienne le 16 juin coûtera encore plus cher à Napoléon. 

Courte mais intense, la campagne de Belgique de 1815 prise dans son ensemble (et pas seulement Waterloo) est passionnante à étudier. Comment une excellente idée de manoeuvre aboutit à un cuisant échec ? Le livre d’Andrew Field offre déjà des réponses. Afin d’approfondir l’étude de cette campagne, la Campagne de 1815 en France, de Clausewitz, est sur ma pile à lire tandis que j’attends avec impatience un autre ouvrage : Marshal Ney at Quatre-Bras : new perspectives on the opening battles of the Waterloo campaign, de Paul Dawson. Des lectures intéressantes à venir !

Juin 2019. A lire

 

 

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