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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

I dread the thought of the place – The Battle of Antietam and the End of the Maryland Campaign, de D. Scott Hartwig

Livrée le 17 septembre 1861, la bataille d’Antietam marque les mémoires comme le jour le plus sanglant de l’Histoire des Etats-Unis. En une journée, 22 000 hommes sont tués ou blessés sur les rives de cette petite rivière du Maryland. Pour quels résultats ? Contrairement à Gettysburg (à tort), Antietam n’attire à pas elle le qualificatif de tournant de la Guerre de Sécession. Les photographies prises dans les jours suivants la bataille montrent un carnage. Les corps tordus et pétrifiés se mêlent à une masse d’équipements abandonnés. Au loin, la façade criblée d’impacts de Dunker Church atteste de l’intensité du feu qui transforme les alentours de la petite ville de Sharpsburg en un vaste champ de mort. Pour les milliers de combattants fédéraux et confédérés plongés dans cette zone de mort, la bataille fut une expérience terrifiante. C’est exactement ce sentiment que reflète le titre, tiré d’une lettre d’un vétéran, du livre de D. Scott Hartwig : I dread the thought of the place – The Battle of Antietam and the End of the Maryland Campaign. Ce copieux ouvrage (plus de 800 pages en incluant les notes et la bibliographie) couvre la phase finale de la campagne du Maryland, c’est-à-dire la bataille d’Antietam en elle-même et le retrait confédéré de cet Etat unioniste. Onze ans séparent ce livre d’un précédent volume du même auteur, historien au Gettysburg National Battlefield.

Le livre de D. Scott Hartwig suit une structure chronologique classique. Le prologue pose clairement le cheminement qui mène à la bataille. Son contenu correspond très certainement dans ses grandes lignes au premier volume (que je n’ai pas lu). Une fois le prologue achevé, l’action commence immédiatement. Dès les premières pages, les premiers coups de feu claquent. Le ton est donné : c’est une lecture très immersive que propose l’auteur. Durant plus de 700 pages (en anglais), le lecteur est entraîné dans une succession de séquences tactiques sanglantes. Les témoignages de combattants nordistes et sudistes, officiers ou soldats, nous plongent au cœur des combats. Leur somme impressionnante et la manière dont ils s’articulent entre eux témoignent du travail minutieux de l’auteur, expliquant ce délai aisément de onze ans entre les deux volumes. D. Scott Hartwig ne se contente pas de compiler les citations de combattants les unes après après les autres. Il leur donne une cohérence et s’appuie sur elles afin de permettre à son texte de suivre avec fluidité le fil des combats. A intervalle régulier, l’auteur redonne de la hauteur à son récit en analysant les différentes séquences de prises de décision par les généraux de l’un et l’autre camp. D. Scott Hartwig aborde d’autres points passionnants qui donnent du corps à l’ouvrage et font de celui-ci une histoire-bataille aux perspectives élargies. Plusieurs chapitres traitent ainsi du rapport des civils à la bataille d’Antietam, de l’effet créé par la Proclamation d’Emancipation de Lincoln promulguée à la suite de la bataille et surtout du sort des combattants, morts ou vivants, tous atteints dans leur chair et leur âme par le carnage décrit à longueur de pages. L’éviction de McClellan, commandant l’Armée du Potomac, constitue en outre un exemple très intéressant de dégradation irréversible de la confiance entre le politique et le militaire.

Sous la plume de D. Scott Hartwig, les différentes dynamiques de la bataille d’Antietam apparaissent clairement. Puissants mais mal coordonnés, les assauts fédéraux échouent à détruire ou rejeter l’armée confédérée en Virginie. Saignée à blanc, celle-ci bat en retraite dès le lendemain de la bataille mais à son initiative. Un point qui m’a particulièrement frappé dans le récit est « l’évaporation » subie par les unités. Que ce soit en amont ou au cours du combat, les régiments subissent des pertes non violentes. Epuisés par des marches incessantes, mal ravitaillés, des centaines de traînards lâchent leurs unités avant d’arriver sur le champ de bataille (cela concerne surtout l’armée confédérée). Leur nombre cumulé correspond à plusieurs brigades qui manquent cruellement à Lee durant l’affrontement. Au cours de ce dernier, de nombreux combattants (sudistes ou nordistes) quittent la ligne de bataille en aidant à l’évacuation d’un camarade blessé. Peu reviennent ensuite. Ce phénomène s’ajoute aux pertes violentes (tués et blessés). Les unités subissent ainsi une attrition accélérée. Empiriquement, trente minutes à une heure suffisent à dégrader le potentiel de combat d’un régiment d’infanterie. Pour un corps d’armée, la durée de vie utile sur le champ de bataille s’élève à deux ou trois heures. La nécessité de coordonner la montée en ligne des différents pions tactiques dans le cadre d’une manœuvre des échelons apparaît ici clairement. En outre, l’emploi à plusieurs reprises par l’auteur du terme « crise » (crisis dans le texte) est intéressant et donne l’idée d’approfondir cette notion sur le plan tactique. L’affrontement ne vise-t-il pas à provoquer chez l’ennemi une crise tactique, c’est-à-dire une rupture d’équilibre dont l’aggravation peut le priver définitivement de l’initiative, voire mener à son effondrement ? Dans le cas de la bataille d’Antietam, l’Armée de Virginie du Nord et son commandement étouffe ces crises les unes après les autres, notamment grâce à ses manœuvres agressives. L’auteur met clairement en exergue les différences de cultures tactiques entre l’Armée de Virginie du Nord (sudiste) et l’Armée du Potomac (nordiste). Bien qu’équipées, structurées et formées de manière semblable, ces deux armées divergent dans leur approche du combat en raison de la personnalité de leurs chefs. L’armée confédérée, commandée par Lee, privilégie une posture agressive, proto-offensive à outrance, tandis que son adversaire fédérale, sous l’influence de McClellan, est moins encline à l’initiative. Ces différences de cultures tactiques et la manière dont elles influent sur les modes d’action constituent un sujet fascinant et mériteraient une étude à part entière. J’ai abordé la notion de culture tactique dans cet article.

Antietam (ou Sharpsburg pour le Sud) : victoire ou défaite ? Je suis assez d’accord avec D. Scott Hartwig qui définit l’issue de la bataille comme un match nul tactique, une victoire opérationnelle et stratégique fédérale. L’armée confédérée a échappé à la destruction malgré les furieux assauts fédéraux (match nul tactique). Si elle n’a pas réussi à pas détruire son ennemie malgré des conditions favorables, l’Armée du Potomac a néanmoins mis fin à l’invasion du Nord (victoire opérationnelle mais limitée). Enfin, grâce à sa Proclamation d’Emancipation qui donne un aspect moral à la guerre menée par l’Union, Lincoln saisit l’opportunité de donner une portée stratégique au succès opérationnel remporté par son armée. A ce titre, la bataille d’Antietam constitue un exemple intéressant d’articulation entre le niveau tactique et le niveau stratégique. Antietam n’a pas changé le cours de la guerre. Elle constitue néanmoins un jalon majeur dans la lutte acharnée que se livrent jusqu’en 1865 l’Armée du Potomac et l’Armée de Virginie du Nord.  « Combien d'espoirs brisés avons-nous enterrés là, aucun d'entre nous ne le saura jamais » écrit avec mélancolie un lieutenant nordiste chef d’un détachement de fossoyeurs. Combien d’autres espoirs brisés seront enterrés avant la fin de la guerre ?

Février 2024

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