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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Frères d’armes, d’Eugene Sledge

Dans l’univers des séries de guerre, Band of Brothers et The Pacific se placent parmi les meilleures (si ce n’est la meilleure pour Band of Brothers). Tous les ans, j’aime revoir à nouveau l’intégrale de Band of Brothers. Avec le recul des années de service, je suis à chaque fois frappé par la force et la justesse de la série. J’avais regardé The Pacific à l’époque de sa sortie. Je me rappelle alors avoir moins accroché à cette série qu’à Band of Brothers. Le fait qu’elle soit centrée sur trois individus aux parcours différents plutôt que sur un collectif vivant à travers ses individus a sans doute joué. Cette année, après mon visionnage annuel de Band of Brothers, j’ai regardé pour la première fois depuis longtemps The Pacific. Avec à nouveau le recul des années de service, bien que Band of Brothers soit à mon sens toujours au-dessus, j’ai cette fois trouvé la série The Pacific vraiment excellente. L’angle d’approche est différent, plus personnel, plus sombre mais tout aussi fort. Parmi les trois individus évoqués plus haut se trouve Eugene Sledge, jeune marine marqué par la guerre. Plusieurs décennies après celle-ci, Eugene Sledge a publié ses mémoires intitulées Frères d’armes (With The Old Breed : at Peleliu and Okinawa en anglais, « Avec les vieux de la vieille »). Ce texte a notamment servi de base à la série The Pacific. Après avoir vu celle-ci, curieux d’aller plus loin dans ma compréhension de l’expérience combattante dans le Pacifique entre 1944-1945, je me suis lancé dans la lecture des mémoires d’Eugene Sledge.

Lorsque j’étais au lycée, le thème des mémoires / autobiographies figurait au programme de lettres en classe de première. Nous avions entre autres étudié W, ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec, et les Confessions, de Jean-Jacques Rousseau. Le point clé était la nature subjective d’une autobiographie ou de mémoires. Cette caractéristique est à la fois la faiblesse et la force de ce type de texte. D’une part, le fait que le sujet soit l’auteur soumet le propos aux aléas de la reconstruction mémorielle ou de l’omission, si ce n’est le mensonge éhonté. D’autre part, le sujet injecte dans le texte la force de sa sincérité, de ses émotions, de son regard personnel. Ainsi, le Journal de Sainte-Hélène du général Gourgaud livre un témoignage exceptionnel de ce que fut l’exil de l’Empereur à Sainte-Hélène (précisons que rédigé à l’intention de soi-même, le journal intime échappe plus facilement aux écueils de mémoires destinées au public). Dans le cas d’Eugene Sledge, ses mémoires constituent une matière exceptionnelle grâce à la lumière crue qu’elle projette sur l’expérience d’un combattant de l’United States Marine Corps durant la Guerre du Pacifique.

Dans les mémoires d’Eugene Sledge, le lecteur est frappé dès les premières pages par la force du style. Précise, détachée, fluide, la plume d’Eugene Sledge ne donne que plus de relief à son récit, aux événements qu’il vit et aux émotions qui le traversent. Simple soldat servant dans une escouade de mortiers légers, Eugene Sledge nous offre la vision crue d’une Guerre du Pacifique vécue la tête enfoncée dans le sable ou la boue, vaine protection pour les tirs japonais, les pieds trempés, le treillis sale et couvert de sang. Les hommes passent et meurent au sein d’un groupe marqué par le fatalisme. Loin des plages de sable blanc et des eaux turquoises, la Guerre du Pacifique d’Eugene Sledge est marquée par la haine de l’ennemi japonais, l’esprit de corps des marines et l’horreur des affrontements. L'auteur parle sans ambages des cauchemars qui le réveillent encore des décennies plus tard. Cela ne l’empêche pas de ne pas regretter sa participation aux affrontements ou le fait d’avoir tué des soldats japonais. « Mieux vaut eux que nous » pourrait écrire Eugene Sledge.

Frères d’Armes / With The Old Breed : at Peleliu and Okinawa (je ne me fais pas à la traduction française du titre – globalement, la traduction m’a souvent paru imprécise sur les termes militaires), d’Eugene Sledge constitue une expérience de lecture forte. Ce livre nous transporte à l’autre bout du monde, sur des îles perdues dans le Pacifique, non pas pour une expérience dépaysante mais pour donner au lecteur une vision d’en bas de la guerre, vécue dans toute son intensité. Balloté, perdu avec ses camarades au milieu d’opérations qui les dépassent largement (ils ne semblent avoir aucune idée de la manœuvre d’ensemble à laquelle ils participent, si ce n’est a posteriori), Eugene Sledge offre un témoignage d’une rare puissance littéraire. « War is hell » aurait déclaré William Sherman, général unioniste de la Guerre de Sécession. C’est bien ce que nous dit Eugene Sledge.

Février 2023

 

 

 

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