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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Okinawa 1945, d’Ivan Cadeau

J’ai déjà écrit beaucoup de bien de la collection Champ de Bataille publiée par Perrin (Kharkov 1942 et Verdun 1916), coéditée avec le ministère des Armées. Je mentionnais notamment la qualité de l’édition et l’approche équilibrée et travaillée des batailles traitées. Okinawa 1945 est le troisième ouvrage de cette collection que je lis (je n’ai pas lu celui sur Crécy, à tort). Son auteur, le lieutenant-colonel Ivan Cadeau, est officier historien de l’armée de Terre et travaille au Service historique de la Défense. J’avais déjà beaucoup apprécié son livre sur la Guerre de Corée. J’ai également eu la chance de le suivre durant une semaine au cours d’une étude historique sur le terrain consacrée à la percée de Sedan. Spécialisé dans les conflits d’Asie orientale (tout particulièrement la Guerre d’Indochine sur laquelle il a publié plusieurs ouvrages), Ivan Cadeau retrouve cette partie du monde en s’intéressant cette fois à une bataille de la Guerre du Pacifique.

La bataille d’Okinawa (qui débute le 1er avril 1945 par le débarquement des forces américaines) s’insère dans la trajectoire finale de la Guerre du Pacifique. Durant ces deux mois et demi de combats pour la conquête de l’île, prolongés par d’interminables opérations de nettoyage jusqu’à la reddition du Japon, Américains et Japonais luttent âprement. A la combativité jusqu’au-boutiste des Japonais fait face la supériorité matérielle et technique des Américains déterminés à s’emparer d’Okinawa afin de préparer l’invasion à venir du Japon. Au milieu se trouvent des milliers de civils qui seront les premiers à payer le prix du sang. La férocité des combats persuade notamment le président Harry Truman d’employer l’arme atomique pour faire fléchir la résistance japonaise. Tout cela est clairement narré par Ivan Cadeau. Le récit suit le déroulement désormais classique de la collection Champs de Bataille (trois parties : contexte / déroulement de la bataille / mémoire et mémoires de la bataille). Ce découpage répond efficacement aux objectifs de la collection consistant à amener l’histoire-bataille au grand public et prendre de la hauteur sans se laisser enfermer dans la pure narration fastidieuse des événements. D’un point de vue stylistique, il faut souligner la précision du vocabulaire militaire employé par Ivan Cadeau. Ce point de forme illustre les interactions entre les mondes militaire et universitaire et la manière dont l’un et l’autre peuvent s’enrichir mutuellement.

Plus largement, la bataille offre plusieurs prismes de réflexion. Tout d’abord, elle montre bien que les forces morales ne sont pas le fanatisme et le jusqu’au-boutisme. En dépit d’une détermination farouche (allant jusqu’aux attaques-suicides aériennes, navales et terrestres), les Japonais plient face à la machine de guerre américaine. Il ne faut pas réduire cette défaite à la lutte du pot de terre (les forces morales) contre le pot de fer (la supériorité matérielle américaine). En réalité, ce sont bien les forces américaines qui exploitent au mieux leurs forces morales en les combinant efficacement avec leur masse d’hommes et de matériels. Le puissant témoignage d’Eugene Sledge, US marine vétéran d’Okinawa, constitue un très bon exemple de la manière dont les combattants américains traversèrent cet enfer de boue et d’acier (malgré un effet de loupe qui concentre la vision du lecteur sur le rôle des marines au détriment de l’armée de terre, point justement soulevé par Ivan Cadeau dans son livre). Sur le plan strictement opérationnel, la bataille d’Okinawa constitue un cas d’étude intéressant dans la mesure où il s’agit d’une opération par nature interarmées. L’action amphibie initiale (menée conjointement par l’US Army et l’US Marine Corps) puis l’opération de conquête de l’île sont soutenues et appuyées par une force aéronavale massive. Concernant l’aspect logistique, les données citées dans l’ouvrage sont vertigineuses. Derrière le soldat américain dans son trou de combat sous la pluie, c’est une chaîne logistique d’envergure mondiale qui se déploie depuis les Etats-jusqu’à cette île japonaise. La mise en œuvre de cette chaîne par les planificateurs et les logisticiens américains constituent un tour de force majeur. In fine, la victoire américaine fut le fruit d’un élan constamment entretenu par le flot d’hommes, de munitions, de véhicules et de pièces détachées débarqués jour après jour sur les plages d’Okinawa. Enfin, la bataille voit l’imbrication permanente des civils et des deux armées au combat. La population paye un lourd tribut sans être réellement un objet d’attention des uns et des autres, si ce n’est pour servir de main d’œuvre forcée ou de chair à canon pour l’armée japonaise. Le fil tiré par Ivan Cadeau au sujet de la population mène jusqu’à nos jours. La situation stratégique de l’île (entre le Japon et Taiwan) aboutit à l’installation durable de troupes américaines à Okinawa, suscitant des tensions récurrentes avec la population en raison d’incidents réguliers.

Okinawa 1945 constitue une nouvelle réussite pour la collection Champs de Bataille. Ivan Cadeau nous emmène grâce à un texte clair et précis aux origines, au cœur et aux conséquences de cette féroce bataille. Il nous livre un cas d’étude intéressant sur ce qu’est une opération interarmées soutenue dans la durée. Enfin, en ces temps où le sujet sur les forces morales, non seulement des combattants mais également des non-combattants, est central, la détermination des belligérants durant les combats d’Okinawa, et plus largement durant la Guerre du Pacifique, constitue un bel objet de réflexion.

Octobre 2023

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