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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Verdun, pourquoi l'armée française a-t-elle vaincu ? de Claude Franc.

L'actualité mémorielle à l'occasion du centenaire de la bataille de Verdun apporte son lot de nombreux livres sur ce thème. La disparition des derniers témoins directs de cet affrontement rend irréels et lointains la violence et l'acharnement des combats. D'où la très forte tendance actuelle à se pencher sur le quotidien et le sort des combattants, des hommes plongés au cœur de la fournaise. Comme s'il y avait un besoin de rendre à nouveau réel ce qu'ont vécu Français et Allemands sur les bords de la Meuse il y a 100 ans. La diffusion récente du documentaire Apocalypse Verdun, reprenant des images colorisées de la Grande Guerre, est symptomatique de ce besoin : afin de s'approprier, aborder la Première Guerre mondiale, il faut la rendre réelle. Redonner sa couleur bleu horizon à la capote du Poilu, restituer la boue des tranchées. Frapper le regard. A vrai dire, il ne s'agit plus de se pencher sur un conflit centenaire, mais de l'amener à nous.

Dans son ouvrage, Verdun, pourquoi l'armée française a-t-elle vaincu?, Claude, ancien officier à la retraite et saint-cyrien de la promotion Maréchal de Turenne (1973-1975), prend le chemin inverse. Son récit de la bataille de la Verdun s'aventure à peine dans les tranchées. Les hommes qui se battent et meurent dans les tranchées s'y trouvent car ils en ont reçu l'ordre. Cet ordre est directement issu d'une chaîne de commandement remontant jusqu'au niveau politico-militaire. Le Poilu qui s'élance vers Douaumont et se retrouve au fond d'un trou d'obus, luttant pour sa vie, n'y est pas par hasard. Un état-major a pris la décision d'envoyer son corps d'armée à telle date et tel endroit afin d'obtenir un effet déterminé en vue d'un objectif précis. Voici l'objet de ce livre. C'est une guerre de papiers, de cartes et de crayons qu'il raconte. Pourquoi la bataille? Pourquoi à ce moment et cet endroit précis? Avec quels moyens et contre qui agissent chacun des belligérants? Comment les commandements allemands et français réfléchissent-ils avant, pendant et après la bataille? Comment agissent-ils? C'est à cet ensemble de questions que répond Claude Franc.

Et cela de manière passionnante. Le livre est relativement court (150 pages) et se lit d'une traite. L'auteur emploie un vocabulaire tactique très précis qui facilite la lecture pour les familiers de la chose mais cela ne devrait pas rebuter les moins familiers. Au contraire, cela donne une trame et un cadre clair au propos. Des annexes (ordres d'opérations, échanges entre généraux...) placées après la conclusion illustrent les démonstrations et réflexions de Claude Franc.

Ce dernier navigue du tactico-opératif (la conduite de la bataille de l'armée pour simplifier) au niveau politico-militaire. Les systèmes de commandement allemands et français sont comparés. Le principal défi qui se présente à eux est la conduite d'une guerre au niveau mondial mais aussi au niveau tactique. Les architectures différentes de commandement entre Français et Allemands ont ainsi joué leur part dans l'issue de la bataille. Alors que les généraux allemands endossent plusieurs responsabilités de niveau différent et subissent un phénomène d'écrasement, les Français dissocient les niveaux de commandement, ce qui facilite la conduite de la guerre et des opérations. A l'heure où la numérisation des unités (et donc la capacité de regard et de décision du chef vers les plus bas échelons) s'accroît, cela ouvre quelques pistes de réflexions intéressantes sur la centralisation/décentralisation du commandement.

Autre partie intéressante traitée par le livre : qui est le vainqueur de Verdun? L'Histoire a retenu Pétain. Or, celui-ci n'est en poste que de février à avril 1916 (alors que la bataille se termine en décembre). D'avril à décembre, c'est Nivelle qui est aux commandes sur la Meuse. De fait, les deux hommes peuvent se partager (et Claude Franc explique pourquoi) le titre de Vainqueur de Verdun. Hélas pour Nivelle, le sanglant échec du Chemin des Dames l'année suivante (1) et sa mort précoce dans les années 1920 l'ont effacé de la mémoire de la Grande Guerre. Pétain, qui a pris sa suite à la tête de l'armée française en 1917 et survécu à tous les autres maréchaux et généraux de 14-18, est resté seul en place et s'est imposé dans la mémoire collective comme l'unique vainqueur.

Dernier aspect intéressant. Verdun, sur qui se focalise l'attention du monde après le coup de propagande de Douaumont (2), impacte alors directement la stratégie de l'Entente. Sans le savoir, le soldat français de Verdun est directement en lien avec conscrit russe de l'autre côté de l'Europe. Les enjeux des batailles auxquels chacun participe les dépassent largement et c'est ce que démontre Claude Franc.

Ouvrage passionnant donc, qui éclaire un aspect largement méconnu de la Première Guerre mondiale, celui de la fonction commandement, mais surtout laisse une riche matière afin de réfléchir sur cette thématique. Le commandement, à tous les niveaux, ne peut être une science exacte. Ce qui est vrai à une époque ne l'est pas à une autre. Mais également ce qui était valable autrefois peut l'être encore aujourd'hui. A nous de réfléchir.

(1) : Claude Franc explique en quoi l'échec du Chemin des Dames est directement influencé par la victoire de Verdun. Les tactiques employées avec succès par Nivelle et Mangin sur la Meuse ne pouvaient s'appliquer dans l'Aisne.

(2) : "Douaumont ist gefallen" : la propagande allemande érigea en symbole la chute du fort de Douaumont quatre jours après le début de l'offensive. En réaction, pour les Français, il fallait tenir Verdun coûte que coûte afin de faire mentir la propagande ennemie.

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