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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Stormtroop Tactics – Innovation in the German Army, 1914-1918, de Bruce Gudmundsson

La tranchée n’a pas disparu de la guerre contemporaine. Antérieur à l’invasion russe de février 2022 mais diffusé après son déclenchement, le remarquable documentaire du journaliste Loup Bureau, intitulé Tranchées, nous plongeait avec force et justesse dans le quotidien d’une unité ukrainienne déployée dans le Donbass. En 2023, le flot incessant d’images de la guerre russo-ukrainienne nous montre régulièrement des scènes de combat au sein de tranchées russes ou ukrainiennes. L’analogie avec 14-18 est inévitable. A plusieurs reprises, j’ai lu des commentaires évoquant les modes d’action et procédés des sturmtruppen allemands de la Première Guerre mondiale. J’ai souhaité approfondir ce point avec la lecture de cet ouvrage : Stormtroop Tactics – Innovation in the German Army, 1914-1918, de Bruce Gudmundsson.

Avant d’aller plus loin sur l’ouvrage même, que sont les sturmtruppen allemands ? Face au blocage tactique créé par la généralisation à l’Ouest d’un système défensif basé sur la tranchée, la mitrailleuse et l’artillerie, l’armée allemande entraîna et spécialisa des unités d’infanterie dans l’assaut de positions retranchées. Riga, Caporetto, les opérations Michael ou Blücher témoignent de leurs performances tactiques. Stormtroop Tactics – Innovation in the German Army, 1914-1918 aborde la genèse et l’emploi de ces unités. Bruce Gudmundsson décrit et analyse le processus qui mena l’armée allemande à former et équiper ces sturmtruppen, mais surtout à faire évoluer sa culture tactique en décentralisant la prise de décision tactique au niveau des sous-officiers. Le modèle de la vieille infanterie de ligne disparaît définitivement pour laisser la place à une infanterie manœuvrière, articulée en pions tactiques spécialisés. L’attrition réduit progressivement ses effectifs mais sa puissance de feu augmente en parallèle. Le propos de Bruce Gudmunsson s’attache ainsi à analyser le format évolutif (organisation, équipements) de l’infanterie allemande et ses nouvelles tactiques. Autour de bataillons d’assaut d’élite se généralise la création d’unités ad hoc au niveau des divisions et des régiments. A ces unités d’assaut est couplée une artillerie puissante dont l’objectif consiste principalement à obtenir des effets de neutralisation, de couverture et de cloisonnement plus que de destruction (notamment par l’emploi d’obus à gaz). Paradoxalement, comme l’explique l’auteur, l’excellence tactique de l’infanterie allemande aspire vers le bas la réflexion opérative et stratégique. Si l’armée allemande peut à nouveau manoeuvrer, cette manoeuvre se limite au champ tactique, créant une nouvelle impasse. Du côté allié, la clé de la victoire réside dans le couplage d’un appui-feu sous blindage doté d’une mobilité tactique (le char) à une capacité de mobilité opérative et stratégique (motorisation, chemins de fer).

Bruce Gudmundsson justifie le sous-titre de son ouvrage (Innovation in the German Army) par le fait que l’armée allemande d’avant-1914 était naturellement portée vers ce processus d’évolution et d’innovation grâce à une culture tactique centrée sur l’initiative. Les tactiques d’infanterie d’assaut sont la continuité d’une tendance structurelle à donner une large part d’autonomie aux échelons subordonnés, que ce soit dans les phases d’entraînement, de planification ou de conduite des combats. Les actions tactiques décrites dans les annexes sont d’ailleurs très intéressantes à lire car leur préparation et leur exécution sont décortiquées. Plusieurs points me paraissent discutables (notamment le fait qu’une partie de la démonstration de l’auteur s’appuie sur l’assaut allemand contre Verdun dont il décrit l’objectif comme un objectif d’attrition de l’armée française). Le livre est très intéressant à lire, alternant analyses organisationnelles et cas concrets. Il s’appuie principalement sur des références en anglais et allemand. Il est toutefois assez court (200 pages, annexes et bibliographie comprises) alors que certaines parties auraient gagné à être développées, tout particulièrement la comparaison avec les autres armées en guerre, développée sporadiquement au fil du livre et abordée de manière globale seulement durant la conclusion. Une démarche comparative complète aurait été passionnante car elle aurait permis de comprendre ce que l’auteur touche du doigt : le processus d’évolution tactique d’une armée.

J’évoquais plus haut le parallèle souvent avec le conflit russo-ukrainien. Il ne s’agit pas de trouver dans Stormtroop Tactics – Innovation in the German Army, 1914-1918 la recette toute faite et miraculeuse afin de percer une ligne fortifiée. Plaquer des schémas tactiques de 1918 sur 2023 serait une erreur car les conditions sont différentes (armes guidées, communications radios, drones). Néanmoins, il est intéressant d’analyser la démarche adoptée par une armée afin de briser un blocage tactique similaire à celui rencontré par les forces en présence en Ukraine aujourd’hui.

Octobre 2023

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