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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Essai sur la non-bataille, de Guy Brossollet

Préambule : cet article est le fruit d’une première lecture de l’Essai sur la non-bataille. Court mais dense, cet ouvrage mérite à mon sens d’être étudié sur le temps long afin d’en saisir pleinement la portée et pouvoir enrichir pleinement la réflexion.

En 1975, à l’issue de sa scolarité à l’Ecole de Guerre, le commandant Guy Brossollet publie un court ouvrage, l’Essai sur la non-bataille. Le parcours de cet officier de l’armée de Terre se caractérise d’une part par une expérience opérationnelle en Algérie (1956-1961), d’autre part par sa connaissance et sa pratique de la culture et de la langue chinoises. En poste à Pékin comme attaché militaire à la suite de sa scolarité à l’Ecole de Guerre, il continue de travailler en Chine après sa démission de l’Institution et continue tout au long de sa vie de publier des ouvrages en relation avec la Chine. Ce départ vers la vie civile n’est pas sans rapport avec les remous causés par la publication de l’Essai sur la non-bataille. Presque cinquante ans après sa parution, cet ouvrage est toujours abondamment cité et commenté. L’actuelle guerre en Ukraine et sa première phase défensive ont contribué à jeter une nouvelle lumière sur ce livre. Coïncidence ou conséquence, la famille de Guy Brossollet a réédité le livre de ce dernier. Pour un prix modique (quinze euros), l’Essai sur la non-bataille est à nouveau disponible. Compte tenu de la réputation de ce livre abondamment cité, j’ai abordé l’Essai sur la non-bataille avec deux points en tête :

  • Le propos prend place dans un contexte précis (l’armée française dans les années 1970) : les similitudes frappantes avec certaines situations de l’actuelle guerre en Ukraine ne doivent pas nous conduire à donner un caractère prophétique à cet ouvrage ;
  • Le fait que Guy Brossollet ait payé le prix de ses idées ne valide pas celles-ci, c’est-à-dire qu’il ne faut pas considérer que c’est juste car iconoclaste.

Mon intérêt pour la pensée militaire me conduit à lire ce livre sans avoir la prétention de valider ou démolir le propos de l’auteur. Les lignes qui vont suivre ne sont donc pas une exégèse de la pensée de Guy Brossollet, d’autant plus que d’autres ont étudié celle-ci bien avant et ce de manière beaucoup plus fouillée. Ce qui m’intéresse dans la lecture de cet ouvrage est la démarche intellectuelle de Guy Brossollet. Ce dernier l’expose très clairement dans son liminaire : face à un système imparfait, deux attitudes sont possibles, soit le corriger, soit le remettre en cause radicalement. Guy Brossollet adopte la seconde option. Ce choix est assez stimulant dans la mesure où il ouvre de nouvelles perspectives. Valides ou non, à ce stade de lecture, peu importe à vrai dire. Tout aussi important est la méthode suivie par Guy Brossollet afin d’élaborer un nouveau système puis établir un argumentaire pour le défendre.

Car remettre en cause un système inclut par essence une prise de risques. Dans le cas du corps de bataille français directement attaqué par Guy Brossollet, cela revient à conclure que les millions de francs, les tonnes d’acier et les heures d’instruction utilisées sont inutiles. En l’occurrence dans son Essai sur la non-bataille, comptant moins de 150 pages, l’auteur propose une nouvelle organisation des forces terrestres basée sur le principe d’un combat décentralisé dans la profondeur. Ce combat conventionnel s’articule étroitement avec d’autres systèmes de forces (forces stratégiques nucléaires, forces d’intervention aéromobiles). Ses réflexions intègrent le facteur technique et ses évolutions : le missile antichar (dont l’efficacité a été démontrée durant la Guerre du Kippour de 1973, contemporaine de la rédaction de l’ouvrage) est au cœur du système modulaire. L’idée n’est pas de vaincre de manière décisive la force ennemie mais de l’engluer dans un large dispositif furtif et mobile afin d’user sa puissance de combat. Ce combat d’usure, outre ses effets sur la puissance de combat, se dissocie clairement du feu nucléaire stratégique. Grâce au gain de temps permis par le système modulaire de Guy Brossollet, les décideurs politiques gagnent en liberté d’action. Il est important de souligner qu’à aucun moment Guy Brossollet ne remet en cause la dissuasion nucléaire et le fait que cet outil est exclusivement un outil politique. Ses critiques portent d’abord sur l’existence d’armes nucléaires tactiques (en dotation au sein de l’armée de Terre sous la forme de missiles Pluton).

Ce ne sont ici que des grandes lignes de l’Essai sur la non-bataille, dont le texte est d’une grande richesse. Le style est clair, précis et compense la technicité du texte. Après une première lecture, le propos me paraît radical sur un certain nombre de points (notamment l’artillerie). Sa force réside dans le fait d’avoir été capable de faire table rase d’un système tout en reconnaissant la primauté du politique dans le déclenchement du feu nucléaire. La pensée de Guy Brossollet ne flotte pas non plus de manière éthérée mais s’inscrit dans l’existant. Les aspects techniques ou financiers développés par l’auteur en sont un exemple. Ici réside une première raison de lire ce livre : étudier la démarche intellectuelle féconde adoptée par Guy Brossollet. J’évoquais plus haut les similitudes avec la guerre en Ukraine : certains paragraphes semblent directement coller à la réalité de ce conflit. C’est une seconde raison de lire l’Essai sur la non-bataille. Faute d’avoir assisté à un nouvel embrasement de l’Europe au cours de la Guerre froide, nous ne saurons jamais si le système de non-bataille proposé par Guy Brossollet aurait fonctionné. Mais la première phase du conflit russo-ukrainien, qui a vu l’armée russe s’engluer et s’user dans un maillage de forces terrestres combattant de manière décentralisée, offre l’occasion de faire vivre ce texte, le confronter à une réalité (sans se limiter à celle-ci), élargir cette confrontation à d’autres réalités à travers d’autres cas concrets. Sans nul doute, l’Essai sur la non-bataille est une lecture stimulante. 

Le site créé par la famille de Guy Brossollet pour appuyer la réédition du livre offre une synthèse de quelques références et liens pour approfondir la lecture de l’Essai sur la non-bataille : https://www.guybrossollet.fr

Décembre 2022

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M
Merci pour cet article. Connaissez-vous un essai comparable de ces 50 dernières années qu'on pourrait "confronter" à l'exposé de Brossollet ?
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