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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Pratique tactico-ludique : test d’un wargame logistique

Logistics in Large-Scale Operations Combat : playtest

Un passage de quelques jours au US Army Command and General Staff College (CGSC) a été l’occasion d’un aperçu de la pratique du wargame au sein de l’armée de terre américaine. Le wargame y est par exemple utilisé pour obtenir une meilleure compréhension et connaissance des campagnes militaires de l’Histoire. Il est également employé pour pratiquer la tactique. Ainsi, pour faire ressentir (et ainsi faire comprendre son effet sur la prise de décision) la surprise, les maîtres de jeu introduisent au beau milieu de la partie un puissant facteur modifiant totalement le rapport de forces (un game changer dirait-on). Dans l’exemple qui m’a été présenté, la campagne de Belgique de 1815, l’armée française se retrouve tout à coup capable de mener des assauts par air à l’aide de ballons. Peu importe que ce ne soit pas du tout historique : ce n’est pas la véracité historique qui est recherché mais l’effet de surprise. Institutionnalisée, soutenue par un département aux effectifs conséquents, la pratique du wargame au CSGC permet ces pratiques exploratoires.

Au cours de mon passage, j’ai eu l’occasion de participer aux tests d’un jeu en cours de conception : Logistics in Large-Scale Combat Operations (LSCO). Conçu par une officier stagiaire du CSGC sous la tutelle de James Sterrett (de la direction de la simulation du CSGC), ce wargame modélise les opérations logistiques au niveau brigade-division. L’objectif consiste à accroître la compréhension par un non-logisticien de ces opérations en mettant en relief leurs principales dynamiques. Les combats sont un sujet secondaire dans la mesure où ils sont surtout vocation à faire vivre la logistique. Cette dernière n’existe pas pour elle-même. Il s’agit surtout d’empêcher le combat de s’éteindre. Les mécanismes des affrontements sont donc assez simples, reposant sur un rapport de forces basique et un jet de dés : attaque – défense – frappe d’artillerie – perte – retraite, et surtout consommation de munitions et carburant. Un système de cartes d’activation des unités et de cartes d’effet (cyber, frappes d’artillerie ou aériennes, etc.) donne un chrome tactique au jeu. Chaque joueur (un Rouge et un Bleu) cherchera donc à maintenir son élan en maintenant ses unités ravitaillées. Si les réserves de carburant et munition s’épuisent, l’unité est immobilisée et ne peut plus combattre. De plus, les réserves d’eau et de rations baissent tous les trois tours.

Playtest côté Bleu (James Sterrett)

Le cœur du système, la logistique, repose sur le maillage que chaque joueur parviendra à établir afin de mettre des flux depuis ses bases logistiques jusqu’à la ligne de front. La carte est dessinée en point à point. Chaque joueur dispose dispose depuis son bord de carte d’un SPOD (Sea-Port of Debarkation : point d’entrée logistique maritime) où arrivent et est stocké le ravitaillement en alimentation, munitions et carburant. Ces stocks sont ensuite transportés vers les unités déployées. Des bataillons de soutien de brigade ou de division constituent des points de stockage intermédiaire qui augmentent l’allonge du système logistique. La prise de contrôle d’APOD (Air-Port of Debarkation) créent des points d’entrée logistique intermédiaire qui réduisent la dépendance au SPOD. Les SPOD et APOD sont au cœur de l’affrontement entre les deux camps : la victoire est remportée par celui qui prendra le contrôle de tous les SPOD et APOD. In fine, c’est ce qui permettra d’étouffer l’adversaire. Les systèmes logistiques Bleu et Rouge possèdent des caractéristiques différentes qui permettent de différencier sur le terrain la planification et la conduite des modes d’action logistiques. Ainsi, le Bleu possède des unités logistiques plus petites mais plus nombreuses. Ses unités logistiques disposent de capacités réduites mais leur nombre permet une dispersion créant un maillage logistique moins sensible aux frappes. A l’inverse, le Rouge possède des unités logistiques mais plus solides. Elles soutiennent plus efficacement les unités de combat mais la neutralisation d’une de ces unités logistiques déséquilibre d’emblée une brèche dans le maillage logistique.

Playtest (James Sterrett)

Etant en cours de conception, le jeu n’est pas finalisé. Les mécanismes s’avèrent toutefois assez simples et rapides à assimiler. Découvrant le jeu, je joue à l’instinct et pousse trop loin mes unités de combat sans vraiment planifier mes opérations logistiques. Un tour plus tard, privés de munitions et de carburants, mes bataillons de chars en pointe sont contraints de stopper sur place, incapables de poursuivre leur attaque, vulnérables aux contre-attaques adverses. Ainsi, la logistique conditionne la conduite fluide de la manœuvre tactique. Sans planification minutieuse (commande et constitution des stocks, acheminement sur l’ensemble du théâtre d’opérations, etc.), celle-ci est un échec. Le déroulement de deux tours en présence de la conceptrice est une occasion unique d’échanger avec elle sur les objectifs et les mécanismes de son jeu. La discussion à bâtons rompus permet d’injecter des idées, peut-être bonnes, peut-êtres mauvaises, qui peuvent être mises en œuvre immédiatement durant les tests. Ces derniers n’ont pas vocation à voir la partie se dérouler de manière fluide. Il s’agit au contraire d’identifier les possibles failles (tout jeu en possède) dans les règles afin de proposer au public un produit final consolidé. Pour celui qui conçoit et développe le jeu, la présence de joueurs non initiés aux règles (ce qui fut mon cas) constitue une opportunité intéressante de mettre à l’épreuve ses règles. Si ces dernières sont rapides à assimiler, c’est un signe positif. Pour un wargame professionnel, l’idée maîtresse dans le développement du jeu doit être de permettre à un public néophyte, voire réticent, de comprendre, assimiler et exploiter rapidement les règles. J’ai apprécié la démarche de la conceptrice qui avait à cœur de proposer un wargame logistique exploitable rapidement. La logistique est souvent un parent pauvre de la pensée militaire. Un tel jeu offrant une meilleure compréhension de ses dynamiques est une excellente chose. J’espère voir le produit finalisé rapidement. Je souhaite surtout à ce jeu le succès qu’il mérite.

Février 2024

 

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