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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Le 10e Corps d’Armée dans la bataille – 1939-1940, du général Grandsard

Mon cycle de lectures sur 1940 se poursuit avec un autre ouvrage écrit par l’un des protagonistes de la bataille de Sedan : le général de corps d’armée Grandsard. En mai 1940, cet officier général commande les unités chargées de la défense du secteur de Sedan. La défaite de 1940 et ses responsabilités causent de vifs débats depuis des décennies. Le général Grandsard y a contribué en publiant peu après la guerre un livre intitulé le 10e Corps d’Armée dans la bataille – 1939-1940. En quoi est-il intéressant de lire ce livre ?

Le livre du général Grandsard intéressera plus une personne désireuse d’étudier la bataille de Sedan que le grand public. Un certain nombre de publications, croisant les sources à travers une approche historique, existent et offrent une vision équilibrée du rôle et des responsabilités des uns et des autres. Le 10e Corps d’Armée dans la bataille – 1939-1940 est un plaidoyer pro domo. Il est pour le général Grandsard un outil lui permettant de se positionner par écrit dans les discussions autour de 1940. Il fait d’ailleurs à plusieurs reprises référence à d’autres textes qui constituent selon une distorsion de la réalité. Son livre viendrait ainsi rétablir la vérité. Il est par conséquent nécessaire d’aborder le propos du général Grandsard avec un esprit critique. L’existence d’un fond de sac de connaissances sur 1940 me paraît indispensable pour nourrir cet esprit critique, lui permettre de se déployer et détecter les failles dans l’argumentation de l’auteur.

Le 10e Corps d’Armée dans la bataille – 1939-1940 se divise en plusieurs chapitres allant de la mobilisation en septembre 1939 jusqu’à la fin des combats en juin 1940. Le livre déborde largement du cadre espace-temps de la seule bataille de Sedan et nous emmène ainsi des Ardennes jusqu’aux rives de la Somme puis de la Loire. A ce titre, il donne un aperçu du rôle et du fonctionnement d’un corps d’armée en 1940. Le cœur de cette formation est son état-major auquel sont rattachés des Eléments organiques de corps d’armée (EOCA) : artillerie, génie, transmissions, reconnaissance, etc. Le corps d’armée coiffe un nombre variable de divisions qu’il commande au combat sans toutefois les posséder en propre. De fait, ce sont au total 14 divisions différentes qui passent sous les ordres du 10eCorps d’Armée en six semaines d’opérations. Selon la doctrine en vigueur en 1940, « le corps d'armée est ainsi, pour le commandant de l'armée, un organe d'exécution tactique et, pour les unités qu'il encadre, un organe de commandement chargé de diriger et de coordonner leurs actions » (Source : Gallica - Instruction tactique sur l’emploi des grandes unités 1940).  Le corps d’armée applique donc sur le plan tactique les ordres reçus de l’échelon supérieur (l’armée) en planifiant et conduisant la manœuvre des divisions, tout en les soutenant et les appuyant avec ses EOCA. Ces derniers doivent lui permettre de marquer un effort dans l’action tactique et mener un combat dans un cadre espace-temps étendu.

En mai 1940, ce cadre espace-temps initial est celui de la région de Sedan. Avec deux divisions d’infanterie placées sous ses ordres, le 10e Corps d’Armée a pour mission de défendre la Meuse et empêcher son franchissement par les forces allemandes. Cette mission défensive est précédée d’une manœuvre de freinage de la cavalerie. La première partie de l’exposé du général Grandsard se concentre sur la préparation de la défense des rives de la Meuse puis les combats de mai 1940. L’autre seconde moitié du livre emmène les lecteurs avec le 10e Corps d’Armée sur les rives de la Somme (région d’Amiens) puis dans la région de Tours. Cette seconde partie est essentiellement narrative et peu passionnante (si ce n’est qu’elle illustre le parcours militaire d’un état-major de corps et de ses éléments organiques durant mai-juin 1940) : l’auteur semble subir sa propre narration comme il semble subir la bataille. Ne soyons pas cependant excessivement durs : après avoir subi le choc principal de l’assaut allemand à Sedan, le général Grandsard continue de combattre durant six semaines ininterrompues.

La première partie est donc la plus intéressante. Elle porte d’une part sur celle de la troupe mais également le terrain. D’emblée, l’auteur insiste sur la faible qualité de ses divisions d’infanterie constituées de réservistes, la faible dotation en armes automatiques et antichars de ses unités, ainsi que la difficulté à avancer efficacement dans les travaux de fortification de la position de résistance du corps d’armée. Il invoque notamment le mauvais temps pour justifier ces difficultés à entraîner ses troupes et fortifier la zone durant la période de la Drôle de Guerre. Ces arguments laissent sceptiques, d’autant plus que le général Grandsard semble vouloir noyer son propos dans une abondance de données (la densité au kilomètre d’armes automatiques ou antichars revient souvent). Enfin, dans sa conclusion, il donne comme principale raison de l’échec de la défense française à empêcher la percée l’absence de l’aviation de bombardement et de chasse français dans le ciel des Ardennes. Si la question de la maîtrise des airs, de la coopération interarmées et de l’emploi des moyens sol-air sont de véritables sujets, cet argument est également difficilement recevable en bloc. La cause de la défaite de Sedan est en réalité une pluralité de causes. Parmi celles-ci, en tant que chef tactique en charge de ce secteur, le général Grandsard ne peut échapper à ses responsabilités dans cet échec.

Comme écrit plus haut, le 10e Corps d’Armée dans la bataille – 1939-1940 se destine à un public de lecteurs curieux d’étudier plus en détail les combats de Sedan. Il est nécessaire pour pleinement apprécier les mots du général Grandsard et leur pertinence dans le cadre de cette étude de soumettre son texte à l’esprit critique, de le mettre en perspective à travers d’autres lectures. De manière plus générale, ce livre est intéressant car il nous montre une campagne depuis la perspective depuis l’état-major d’un corps d’armée. Ces six semaines de campagne mettent surtout en relief une dialectique entre système et individu. Le général Grandsard fut vaincu mais à quel point son action, ou son inaction, fut-elle diluée et freinée au sein du système rigide qu’était l’armée française de 1940 ?

Septembre 2023

Pour approfondir  : liste de lectures France 1940.

 

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