Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939), de Louis Neute

En 2019, je partageais cette lecture de la biographie de Pétain par Bénédicte Vergez-Chaignon. Dans ce copieux ouvrage de plus 1000 pages, elle s’intéresse à la vie de Pétain dans sa globalité (vies privée et publique, carrières militaire et politiques, la Grande Guerre et Vichy). Si l’ombre de la Collaboration écrase la mémoire du personnage, cette historienne montre bien la dialectique qui existant entre Pétain maréchal de la Grande Guerre et Pétain chef de l’Etat français : le second n’aurait pu exister sans le premier. Par rebond, le militaire de carrière qu’il fut, le tacticien pragmatique enseignant à l’Ecole supérieure de Guerre, le général victorieux de 1918 est une figure peu étudiée. Elle constitue pourtant un champ d’études intéressant à plusieurs titres. Comment réfléchir et enseigner la tactique ? Comment faire valoir ses idées au sein du débat doctrinal ? Comment mettre en œuvre ces idées une fois en situation de commandement ? Comment valoriser dans la durée l’héritage et le prestige conférés par la Victoire ? Officier de l’armée de Terre, breveté de l’Ecole de Guerre, Louis Neute s’est posé ces questions dans un petit livre paru aux éditions de cette même école : Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939).

Se poser ces questions, y réfléchir et y répondre ne constituent pas une tentative de réhabiliter directement ou indirectement la figure du chef de la France de Vichy. Comme Louis Neute l’explique lui-même dans son introduction, il n’est pas historien et son travail ne vise à remplacer une historiographie déjà bien fournie sur laquelle il s’appuie d’ailleurs tout au long de son ouvrage. L’intérêt de sa démarche est d’offrir un angle d’approche professionnel à cette étude du parcours militaire de Pétain. Ce dernier et l’auteur ont en commun d’être passés par les mêmes écoles (Saint-Cyr et l’Ecole de Guerre). Bien que près d’un siècle et demi se soit écoulé entre leurs scolarités, ces dernières s’inscrivent dans une même culture militaire et un même creuset. Ces éléments permettent alors de délivrer des clés de compréhension vécues de l’intérieur de l’Institution. Elles ne remplacent en effet pas le travail de l’historien mais elles le complètent. Enfin, une telle étude constitue un support de réflexion pour un officier. Pourquoi ?

Car la carrière militaire de Philippe Pétain est édifiante comme l’écrit si justement Louis Neute. Elle l’est d’abord par sa longueur : 53 ans. Elle s’étale ainsi des lendemains de la défaite de 1871 à l’Entre-deux-guerres en passant par une guerre mondiale. Comme l’écrit tout aussi justement l’auteur, la véritable religion de Pétain fut militaire. L’identité de Pétain se confond aves un ethos militaire vécu depuis ses vingt ans. Cette carrière est également édifiante car elle voit un colonel proche de la retraite, surtout connu pour ses idées tactiques en décalage, s’élever en quelques années jusqu’au maréchalat. En outre, malgré un sommet en apparence atteint, l’homme ne cesse de jouer un rôle dans la politique de défense de la France sans jamais toutefois manifester la volonté de concrétiser ses idées. Plusieurs nuances s’entremêlent dans le parcours militaires de Pétain, ouvrant ainsi différentes perspectives qui s’offrent à l’étude : celle de la carrière du temps de paix, celle du débat d’idées, celle du temps de guerre, celle de la victoire, celle de la gloire. Dans ce cadre, le titre de l’ouvrage - Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939) – est ainsi très bien trouvé car il caractérise d’emblée cette vie passée sous l’uniforme : « elle démontre parfaitement qu’il n’est jamais bon de commander aux plus hauts postes trop longtemps, trop seul et préservé des critiques. »

Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939), de Louis Neute, est un livre dont la lecture est aisée. Il complétera très bien d’autres ouvrages scientifiques et offrira un angle d’approche d’abord militaire de la vie de Philippe Pétain. Si l’auteur reconnaît à ce dernier la qualité de grand chef militaire, il met également l’accent sur ses responsabilités dans le cheminement vers la défaite de 1940 et montre bien en quoi le magistère bleu horizon incarné par Pétain affaiblit l’armée française. Enfin, Louis Neute suscite une réflexion stimulante sur la remise en question.

Septembre 2023

Pour approfondir le sujet, outre le livre de Bénédicte Vergez-Chaignon cité en introduction de cet article :

- Verdun, pourquoi l'armée française a-t-elle vaincu ? de Claude Franc. Ce dernier remet notamment en cause le statut de vainqueur de Verdun attribué à Pétain ; 

- Deux chefs face à l’événement : Foch et Pétain du remarquable livre Officier et historien - Etudes, articles et cours du général Jean Delmas (ancien directeur du Service historique de l’armée de Terre). Le propos se concentre sur les différences de conception des deux principaux généraux français et conclue à leur complémentarité.

-  Cours d’infanterie enseigné à l’Ecole supérieure de Guerre (1911), du colonel Philippe Pétain. Réédité récemment, mis en perspective grâce à l’introduction du général Jean Delmas, ce cours permet de découvrir les conceptions tactiques de Pétain dans le texte.