Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces, de Chris Bellamy

Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces, de Chris Bellamy, est un ouvrage presque quadragénaire. Je ne sais plus où j’ai trouvé cette référence mais elle m’intéressait. Hélas, une rapide recherche sur internet a donné peu de résultats concluants pour trouver ce livre d’occasion, hormis sur Amazon au prix prohibitif de 749 euros. En revanche, une autre recherche m’a montré que ce livre peut être emprunté gratuitement au Centre de Documentation de l’Ecole militaire (CDEM). Merci aux documentalistes du CDEM qui sont allés le tirer des réserves de la bibliothèque afin de me permettre de l’avoir entre les mains.

Pourquoi se plonger dans un livre datant de la Guerre froide (1986) ? Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces aborde un thème de l’art de la guerre soviéto-russe sur lequel j’étais désireux d’en savoir plus : le rôle central tenu par les feux dans la manœuvre interarmes soviétique. J’ai souvent lu que l’artillerie soviétique constituait un pion de manœuvre à part entière dans la bataille. Cette différence avec notre vision française dans laquelle la manœuvre des feux contribue à la manœuvre interarmes globale m’intriguait. Dans la conception soviétique, la manœuvre des feux mène la manœuvre interarmes. Pourquoi ce sujet précis ? Cette lecture s’insère dans une continuité entamée courant 2022. Avec Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces, je souhaitais pouvoir développer ma connaissance et ma compréhension de l’emploi de l’artillerie par les Soviétiques, les racines de ce rôle central et les modalités d’emploi. Tout en se prémunissant de plaquer mécaniquement des schémas doctrinaux d’une autre armée sur nos propres schémas (d’autant plus qu’une doctrine est élaborée en lien avec des capacités détenues au sein de cette même armée), ce type d’étude vient à mon sens nourrir notre propre réflexion tactique. Face à un problème tactique, en fonction de la mission reçue et moyens disponibles, le chef tactique décide d’une manœuvre à partir de différents modes d’action. Ces derniers gagneront en variété et en imprévisibilité s’ils intègrent dans leur élaboration une palette élargie de coups possibles.

Long de 245 pages, Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces se divise en quatre parties : un historique de l’artillerie russe tsariste puis soviétique, une synthèse sur l’artillerie soviétique en tant que service incluant un panel d’officiers d’artillerie emblématiques, une troisième partie sur les équipements et les procédés de l’artillerie soviétique, et enfin une analyse de l’emploi de l’artillerie soviétique dans un conflit moderne. La première partie est très intéressante car elle replace dans l’Histoire les origines de l’artillerie russo-soviétique. Chris Bellamy souligne notamment que sa montée en puissance s’intègre dans une lutte multiséculaire face aux nomades des steppes d’Asie centrale. L’organisation d’une artillerie puissante, arme de distance par essence, a été vue comme une réponse à un problème tactique posé un ennemi privilégiant le combat à distance. La participation aux guerres européennes et les contacts avec les armées des autres grandes puissances ont contribué à renforcer la place de l’artillerie dans l’armée impériale russe et l’emphase mise sur la puissance de feu. Durant l’époque tsariste, les officiers d’artillerie se sont imposés comme une élite dans l’élite. Des milliers d’entre eux ont rejoint les rangs de l’Armée rouge lors de la Guerre civile russe et mis leurs expériences et leurs compétences au service du nouveau régime. Dans le cadre des réflexions sur l’art opératif et les opérations dans la profondeur, mises en pratique durant la Seconde Guerre mondiale, l’artillerie conserve son rôle décisif en créant par le feu les conditions de la rupture, prélude de l’exploitation par les forces mobiles. La seconde partie est plus anecdotique et illustre la première grâce à quelques figures d’officiers soviétiques. Les troisième et quatrième parties sont plus techniques mais donnent une bonne idée de la manière dont l’armée soviétique comptait employer son artillerie dans une guerre conventionnelle contre l’OTAN. J’ai particulièrement apprécié le fait que l’auteur mette l’accent sur l’emploi plutôt que de se contenter de compter les boulons de chaque modèle de pièce d’artillerie. Il est intéressant de comparer les différents concepts doctrinaux présentés par Chris Bellamy avec les nôtres. Il faut toutefois garder plusieurs points en tête. L’auteur écrit son livre en pleine Guerre froide avec les ressources disponibles à son époque (c’est-à-dire beaucoup moins que les deux décennies suivantes où l’ouverture des archives soviétiques par la Russie a alimenté l’historiographie). Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces date en outre de 1986 : entre cette année et 2023, d’importants progrès technologiques (communications, IA, drones) ont été effectués et sont aujourd’hui largement exploités par les armées. L’emploi quotidien de dizaines, voire centaines, de drones en Ukraine en est un exemple. Ce qu’écrit Chris Bellamy, avec les données disponibles, n’est donc plus forcément pertinent aujourd’hui. Il existe probablement d’autres études similaires mais jusqu’à maintenant, je n’ai pas trouvé d’autres synthèses spécifiquement consacrées au même thème. Toutefois, le fait que l’armée russe emploie les mêmes matériels que l’artillerie soviétique de 1986 (il faut ajouter à cela le référentiel commun et indépassable de la Grande Guerre patriotique) me fait dire que tout n’a pas changé non plus.

Lire Red God of War – Soviet Artillery and Rocket Forces, de Chris Bellamy, m’a permis de compléter mes connaissances sur l’armée soviétique afin de mettre en perspective la centralité qu’elle donne à l’artillerie. Si la date et le contexte de rédaction de l’ouvrage impliquent de conserver un esprit critique, la synthèse historique est très intéressante dans la mesure où connaître la généalogie d’une armée, ou d’une composante de cette armée, permet de comprendre le poids relatif de ses armes et services, et par conséquent leurs équilibres au sein de ses schémas tactiques. En outre, une telle lecture contribue à nourrir notre culture tactique.

Octobre 2023

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article