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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Principes de la guerre et facteurs de supériorité opérationnelle : la percée de Sedan et ses leçons

Sedan hante la mémoire militaire française. Les défaites subies par l’armée française en 1870 et 1940 ont attaché un douloureux souvenir à cette paisible ville située dans les méandres de la Meuse. Toutefois, au-delà de la charge mémorielle, et même émotionnelle, les combats menés dans la région constituent un cas d’étude tactique riche en enseignements. Ainsi, chaque année, la rentrée de l’Ecole de Guerre-Terre est marquée par une étude historique sur le terrain centrée sur la percée de Sedan de 1940. L’objectif consiste à s’appuyer sur la bataille afin de développer et enrichir sa réflexion tactique. Le propos qui va suivre constitue la version augmentée d’un travail à effectuer sur la question suivante : Principes de la guerre et facteurs de supériorité opérationnelle : à l’aune de la percée de Sedan, quelles leçons pour aujourd’hui ?

En 1940 comme en 2023, une force en opération est un système de combat constitué d’éléments interconnectés et interdépendants.

La maîtrise des facteurs de supériorité opérationnelle et l’application des principes de la guerre sont conditionnées par l’existence d’un système de combat efficace. Ce ne fut pas le cas de l’armée française à Sedan. Cet article se concentre sur celle-ci afin de dégager des leçons en articulant la notion de système de combat, principes de la guerre, facteurs de supériorité opérationnelle.

Efficacité : trois critères de distinction

L’efficacité d’un système de combat se définit par la réalisation par ce même système des effets attendus. Ces effets remplissent des tâches ou atteignent un but. Déterminer le degré d’efficacité d’un système de combattant contribue directement à la mise en corrélation réaliste des moyens disponibles et du but à atteindre, permettant éventuellement un ajustement du second aux premiers afin de garantir une manœuvre elle-aussi réaliste. Trois critères permettent de caractériser un système de combat efficace.

Le premier critère est la simplicité de ce système de combat. En effet, une structure de commandement simple facilite la prise de décision à tous les niveaux, la diffusion des ordres et compte-rendus. Elle favorise l’initiative des bas échelons tactiques, autorise des changements de structures rapides (renforcement / prélèvement d’unités et de moyens) afin de s’adapter à une situation en permanence brouillée et évolutive. Elle fluidifie en outre la circulation des flux logistiques permettant de soutenir le combat dans la durée. Bien commandée et bien soutenue, la masse est un outil agile.

Le second critère est sa robustesse. La neutralisation d’un élément du système ne doit pas remettre en cause sa cohérence et son unité. Ces éléments peuvent être matériels (PC, logistique, unités de combat) ou immatériels (moral), voire les deux (les trois couches du cyber par exemple). Le système ne doit pas s’effondrer au moindre coup qui lui est porté. Le fonctionnement global du système est préservé. Il peut ainsi continuer de produire des effets dans le temps et l’espace malgré l’usure et les destructions subies.

Le troisième et dernier critère est la combinaison des effets. Un système de combat produit des effets d’agression cinétiques et non-cinétiques afin de dominer l’ennemi par l’anéantissement ou l’usure (morale et physique). Cette domination peut être acquise de manière séquencée ou synchronisée. Le système de combat adverse n’est toutefois pas un château de cartes qui s’effondrera au premier choc. Lui-même cherche à être robuste. Contre cela, la production d’effets multiples et variés est nécessaire afin de fragiliser, submerger, casser ce système combattant ennemi. La combinaison de ces effets démultiplie leur puissance contre les éléments clés du système de combat ennemi qui peut être ébranlé, voire désintégré. La désintégration d’emblée (par un coup initial décisif) est possible mais également le moins probable. Le plus probable consiste en une séquence ébranlement / désintégration (ou usure / effondrement) reposant sur une combinaison des effets étalées dans le temps. Enfin, la désintégration n’est pas une condition indispensable pour vaincre : ébranler le système de combat ennemi peut suffire.

Conclusion partielle : L’ajustement du but à atteindre aux moyens demeure la clé d’une manœuvre réaliste. Les trois critères de distinction proposés peuvent constituer une grille de lecture pour déterminer le degré d’efficacité d’un système de combat contemporain.

Des facteurs de supériorité opérationnelle non-maîtrisés : spirale descendante

Les facteurs de supériorité opérationnelle contribuent à la prise d’ascendant d’un camp sur l’autre. Cependant, un système de combat dégradé ne peut générer des facteurs de supériorité opérationnelle. Trois facteurs de supériorité opérationnelle sont tout particulièrement concernés par ce phénomène de dégradation :

  • Performance du commandement : la médiocrité du commandement français, en amont de la bataille puis durant son déroulement, a faussé l’ensemble du système de combat français. Durant la bataille, il n’a cessé de réagir à contretemps et n’a pu enrayer, au moins freiner, l’assaut ennemi. Les états-majors ont en effet été incapables de comprendre que la poussée allemande dans les Ardennes constituait l’effort principal de la Wehrmacht. Le décalage entre les cycles décisionnels allemand (très resserré, laissant une large part d’initiative aux niveaux subordonnés) et français (méthodique, très hiérarchisé) a permis aux formations blindées allemandes d’exploiter différentes opportunités malgré une prise de risque importante. A l’inverse, les Français ont manqué plusieurs occasions, faute d’avoir décelé celles-ci dans le chaos du champ de bataille. Ainsi, le système de combat français a frappé une série de coups d’épée dans l’eau, lorsqu’il a pu frapper tout court.
  • Masse : En raison de la mauvaise performance du commandement, l’armée française n’a pu exploiter la masse dont elle disposait, notamment son artillerie. Malgré cette concentration de feux[1], les Allemands ont pu effectuer leur franchissement de vive force de la Meuse. Grâce à leur artillerie, les Français auraient pu créer un rapport de feux (RAPFEU[2]) favorable susceptible d’inverser un rapport de forces (RAPFOR) défavorable[3]. Un RAPFEU favorable permet de produire des effets dans la profondeur, ciblant notamment des éléments clés du système de combat ennemi afin de l’empêcher d’exploiter sa masse. Dans le cas de la percée de Sedan, la destruction des moyens de franchissement allemands par l’artillerie française aurait pu couper la masse allemande en deux : d’un côté une infanterie capable de franchir la Meuse mais isolée au sud du cours d’eau, de l’autre des blindés bloqués au nord.
  • Agilité : Cette masse s’est également révélée peu agile, toujours du fait de cette mauvaise performance du commandement. Bien qu’ils aient été identifiés à l’avance, les moyens réservés n’ont pu monter en ligne de manière coordonnée. Les contre-attaques françaises (de niveau corps d’armée et armée) n’ont pas produit de résultats tactiques permettant de rétablir le dispositif défensif. En outre, l’agilité permet de créer de la masse sur des points clés à des moments clés en concentrant de la puissance de combat.

Conclusion partielle : au cours d’un engagement tactique, les facteurs de supériorité opérationnelle ne sont pas tous aussi importants les uns que les autres. Certains seront en effet plus critiques que d’autres afin de remporter cet engagement tactique. S’il ne maîtrise pas ces facteurs de supériorité opérationnelle, un système de combat peinera à maîtriser les conditions de la bataille et continuera de se dégrader.

Des principes de la guerre non-appliqués : un système égaré

Sans facteurs de supériorité opérationnelle, faute d’appliquer les principes de la guerre, un système de combat subit la bataille plutôt que de la faire subir à l’ennemi.

  • Liberté d’action : le dogme du front continu a figé l’idée de manœuvre française autour de l’imperméabilité de la position de résistance. De ce fait, l’armée française s’est privée d’options, a été dans la réaction plutôt que l’action et s’est montrée à la fois passive et prévisible. La liberté d’action s’appuie directement sur la maîtrise de facteurs de supériorité opérationnels. En l’occurrence, ni performante dans son commandement ni agile, l’armée française a perdu la lutte pour la liberté d’action. Conserver / saisir l’initiative, c’est-à-dire produire ses effets sur le lieu de son choix et au moment de son choix afin d’imposer sa volonté à l’ennemi, constitue un acte décisif du combat.
  • Concentration des efforts : la dispersion des moyens de l’armée française entre une défense mobile (cavalerie en Belgique), une défense statique (10e corps d’armée retranché sur la Meuse) et une contre-attaque articulée en deux échelons dispersés (un régiment au niveau du corps d’armée, deux divisions au niveau de l’armée) a dilué les efforts du commandement français. Concentrer ses efforts dans le temps et l’espace démultiplie la force de percussion d’un système de combat, offrant un avantage décisif dans la création d’un RAPFOR favorable, prélude du succès tactique.
  • Economie des moyens : L’accent mis par l’armée française sur la défense statique a généré un dispositif défensif déstructuré dénué de toute qualité manœuvrière et incapable de disputer l’initiative. Adapter les moyens aux buts et circonstances présents et futurs conditionne le rendement de ces moyens dans l’espace et le temps. Un système de combat efficace, tel qu’il a été défini plus haut, sera plus à même d’obtenir cette économie des moyens. L’économie des moyens ne se limite toutefois pas aux seuls moyens amis : ceux de l’ennemi et les circonstances (terrain, population, délais, etc.) sont également à prendre en compte.

Conclusion

La maîtrise des facteurs de supériorité opérationnelle crée l’ascendant sur l’ennemi et consolide l’application des principes de la guerre, générant ainsi le succès tactique à travers une approche systémique. Les effets produits doivent s’appliquer à ébranler le système de combat ennemi, voire le détruire, pour in fine le vaincre. Simplicité, robustesse et combinaison des effets permettent à un système de combat d’agir dans ce sens tout en se préservant dans la durée. Ces leçons peuvent s’appliquer à une armée contemporaine.


[1] L’armée française déploie environ 200 tubes (artillerie de campagne et artillerie lourde).

[2] Le rapport de feux (RAPFEU) intègre non seulement le nombre de tubes disponibles, mais également les compétences tactiques et techniques des artilleries en ligne, et surtout leur logistique. Sans une logistique dédiée aux obus, les tubes sont inutiles.

[3] Corps blindé allemand entraîné, structuré, concentré et homogène face à des forces françaises dispersées et très inégales qualitativement.

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