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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Robert E. Lee and Me – A Southerner’s Reckoning with the Myth of the Lost Cause, de Ty Seidule

Bien que mes lectures m’aient emmené vers d’autres périodes, d’autres continents, d’autres perspectives, je ne cesse de conserver au fond un intérêt profond pour la Guerre de Sécession (je développe les origines de cet intérêt dans l’article Réflexions sur une guerre civile). Mon oreille se tend lorsque ce conflit est évoqué, j’y puise souvent des références, je m’illumine intérieurement lorsque j’ai l’occasion d’en discuter. Une rencontre avec Olivier Schmitt, chercheur et enseignant en war studies, durant laquelle nous avons évoqué la guerre civile américaine m’a permis de découvrir une nouvelle référence sur ce conflit : Robert E. Lee and Me – A Southerner’s Reckoning with the Myth of the Lost Cause, de Ty Seidule. Qui est cet auteur ? Officier général en retraite de l’US Army et historien, Ty Seidule a enseigné l’Histoire militaire aux cadets de l’Académie militaire de West Point jusqu’à la fin de sa carrière. Son ouvrage ne s’agit pas réellement d’un livre d’Histoire mais d’un essai à la tonalité très personnelle, une introspection dans lequel il analyse la place tenue dans son identité personnelle par Robert Edward Lee, général confédéré.

Robert E. Lee and Me – A Southerner’s Reckoning with the Myth of the Lost Cause est un livre assez court (250 pages hors notes). Ty Seidule écrit un anglais clair et fluide. Le texte est ponctué d’exemples ou d’anecdotes passées ou contemporaines qui rendent la lecture dynamique. A cela s’ajoute le fond passionnant du livre. Ty Seidule découpe son livre en chapitres qui suivent les grandes étapes de sa vie : sa jeunesse, ses études à la Washington and Lee University (présidée par Lee après la guerre), sa carrière militaire, son enseignement de l’Histoire militaire à West Point. Ces étapes jalonnent une prise de conscience progressive sur la mythification de Lee dans la mémoire américaine. Page après page, Ty Seidule décortique cette mythification directement liée à la Lost Cause qui touche la culture (Autant en emporte le Vent), l’éducation et l’enseignement supérieur (la Chapelle Lee de la Washington & Lee University, où le général confédéré est enterré, véritable temple à sa gloire), l’US Army (le nommage des bases américaines d’après des figures confédérées), West Point (le souvenir des anciens diplômés passés à la Confédération en 1861). L’ensemble converge vers une conclusion : cette mythification de Lee est une construction mémorielle dont l’objectif, malgré l’abolition de l’esclavage, malgré la lutte pour les droits civiques, consiste à perpétuer la suprématie blanche. A plusieurs reprises, l’auteur fait le constat frappant que chaque nouvelle avancée en faveur de l’intégration des Afro-Américains dans la société américaine s’accompagne d’une nouvelle mesure mémorielle en faveur des Etats confédérés. En imposant leur narratif, les anciens Confédérés et leurs successeurs compensent leur perte de contrôle sur la population afro-américaine.

Le propos est d’autant plus frappant que Ty Seidule est un pur produit de cette société sudiste. Alors qu’il baignait dans sa jeunesse dans l’idolâtrie de la Lost Cause et de ses figures, au premier rang Lee, il en devient un ferme contempteur. Les pages où il décrit la manière dont il s’appuie sur ses identités croisées d’officier de l’US Army et d’historien afin de comprendre et éclairer les mécanismes de cette mythification sont passionnantes à lire. A ce titre, le livre ouvre des perspectives de réflexion passionnante sur l’Histoire, ce qu’elle peut apporter à la société mais également sur la notion de loyauté. Celle-ci est centrale dans l’ouvrage dans la mesure où Ty Seidule conclut que Lee a trahi et le discours sur la réconciliation ou son génie militaire existent avant tout pour masquer le fait qu’il a directement contribué à prolonger une guerre civile et tué des milliers de soldats de l’US Army. La rupture de son serment et sa décision de servir sous le drapeau d’une république esclavagiste constituent un choix moralement inacceptable. Une partie de la réflexion de l’auteur est lié au serment de fidélité à la Constitution que prête les officiers américains et est donc spécifique à la société américaine. Cette réflexion sur la loyauté peut néanmoins créer un écho en nous : l’Histoire de France n’est pas une ligne droite. A plusieurs reprises, des virages brusques ont placé des individus, civils ou militaires, à la croisée des chemins.

Robert E. Lee and Me – A Southerner’s Reckoning with the Myth of the Lost Cause, de Ty Seidule, constitue une lecture remarquable. J’ai été personnellement sensible à ce livre en raison de cette double identité d’officier et d’historien de Ty Seidule. La manière dont il articule ces deux facettes, alliée à son introspection, ont rencontré mes propres réflexions sur l’officier et le passionné d’Histoire que je suis. Au-delà de cet aspect personnel, ce livre s’adresse à mon sens aussi bien au passionné de la Guerre de Sécession qu’au lecteur néophyte car elle éclaire la Guerre de Sécession et son héritage sur de nombreux aspects. L’actualité américaine montre bien que les conséquences de ce conflit agitent encore fortement les Etats-Unis. Pour le lecteur français, ce livre est donc l’occasion de mieux comprendre les dynamiques profondes de la société américaine.

Août 2023

Pour aller plus loin : la vidéo (5mn) évoquée par Ty Seidule dans l’introduction de son livre.

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