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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Le Général Lanrezac, de Pierre-Henri Aubry

Quelques années après la lecture d’un livre, il arrive qu’on ressorte celui-ci des étagères pour s’y plonger à nouveau. Les années qui passent, les expériences vécues, les échanges et discussions, d’autres lectures peuvent alors éclairer d’un nouveau jour cette lecture passée. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’un ouvrage lu avant la création des Etagères et des Livres (en mars 2016). A l’époque, je commentais mes lectures sur Facebook ou Instagram. Le cadre ne se prêtait pas à la rédaction d’articles. Voici ce que je partageais en décembre 2015 sur le Général Lanrezac, de Pierre-Henri Aubry :

« Opuscule retraçant la carrière du général Lanrezac, commandant la Ve Armée française en août 1914 et limogé début septembre. Penseur original, il participa aux riches débats intellectuels qui agitèrent l'armée française avant la guerre. Cet ouvrage reprend donc son parcours en se voulant une invitation au pragmatisme et à la réflexion. Des qualités dont nous aurons toujours besoin.

Lu en décembre 2015 »

Cela constitue difficilement une recension. Une récente discussion à propos de cet officier général m’a donné l’envie de relire ce livre. Le format court (à peine une centaine de pages) permet de terminer ce livre assez rapidement (une soirée pour ma part).

Presque huit ans après la première lecture, que retenir de cet ouvrage ? Il s’agit d’une courte biographie du général Charles Lanrezac (1852-1925), général français surtout connu pour avoir été limogé par le général Joffre en 1914. L’auteur est Pierre-Henri Aubry, officier de l’armée de Terre. Aujourd’hui colonel après été chef de corps de la 13Demi-Brigade de Légion étrangère, il était alors chef de bataillon (commandant) et jeune breveté de l’Ecole de Guerre lorsqu’il a écrit ce livre. A-t-il écrit ce livre lorsqu’il était stagiaire dans cette même école où le général Lanrezac est également passé d’abord comme stagiaire puis enseignant ? Comme l’auteur l’écrit lui-même dans son introduction, son opuscule n’est pas un travail historique au sens scientifique du terme. A travers un angle biographique, il s’agit d’une réflexion sur l’officier à la fois en tant que chef mais surtout tacticien, que ce soit sur les plans théoriques et pratiques.

C’est une biographie militaire que nous propose Pierre-Henri Aubry : les aspects personnels et familiaux sont très rapidement évoqués. L’auteur s’intéresse surtout au général Lanrezac plutôt qu’à Charles Lanrezac. Entré à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr en 1869, il combat durant la Guerre franco-prussienne de 1870-1871, notamment dans les rangs de l’Armée de la Loire et de l’Armée de l’Est. Pierre-Henri Aubry présente cette expérience comme un moment déterminant dans la carrière de Lanrezac dans la mesure où avoir connu le feu dès l’aube de sa vie militaire oriente sa pensée vers les aspects pratiques et concrets de la tactique. Par la suite, Lanrezac suit le parcours d’un officier breveté de la IIIe République (scolarité à l’Ecole supérieure de Guerre, enseignement à l’ESG, commandement d’un bataillon et d’un régiment, accès au généralat). S’appuyant notamment sur les travaux de Michel Goya et Dimitry Queloz, l'exposé de ce parcours permet d’éclairer synthétiquement les débats qui agitent la pensée militaire française jusqu’en 1914. Lanrezac y prend sa part, tout particulièrement durant les années où il enseigne à l’ESG. L’autre part déterminante de la carrière militaire de Lanrezac est également sa fin : l’été 1914. Après avoir fait la guerre en 1870-1871 puis réfléchi sur la manière de la conduire durant une quarantaine d’années, Lanrezac se retrouve à nouveau à la faire, cette fois à la tête d’une armée de 300 000 hommes. La boucle est en quelque sorte bouclée. Comment se comportera l’ancien sous-lieutenant d’infanterie devenu général ? Il y a quelque chose de fascinant et tragique dans ce cercle qui se crée au fil de la lecture. Après avoir connu une première fois l’heure de vérité durant sa jeunesse puis s’être préparé durant des décennies afin de l'affronter à nouveau, Lanrezac connaît une nouvelle heure de vérité. De quelle manière sa réflexion a-t-elle irrigué sa pratique ? Ces quarante années mènent à la fois vers le succès et la chute. Vainqueur à Guise le 29 août 1914, il est relevé de son commandement le 3 septembre 1914. Ses divergences avec Joffre ont causé son limogeage. Sur le champ de bataille, il a toutefois fait preuve d’un jugement sûr. Son coup d’arrêt réussi à Guise en témoigne : il contribue au renversement de la situation en créant l’opportunité d’une contre-offensive sur la Marne quelques jours plus tard.

« À la place du général Joffre, j'aurais agi comme lui ; nous n'avions pas la même manière de voir les choses, ni du point de vue tactique, ni du point de vue stratégique ; nous ne pouvions pas nous entendre (…) J'étais bien décidé à ne pas attaquer le généralissime, car je n'avais pas le droit de juger ses actes sur les autres parties du champ de bataille » écrit, désabusé, le général Lanrezac quelques années après. Un siècle plus tard, général de corps d’armée Arnaud Sainte-Claire-Deville, alors commandant des forces terrestres, évoque cette citation dans une belle préface sur laquelle il me paraît intéressant de revenir. Ecrivant à la fois comme l’un principaux officiers généraux de l’armée de Terre mais également comme descendant du général Lanrezac, il articule entre elles plusieurs vertus : indépendance d’esprit, réalisme, ainsi que discipline. La forme changeante des conflits est aussi évoquée à travers des décennies d’opérations extérieures françaises aux modalités très variées. Cette préface a été écrite deux ans après le retrait français d’Afghanistan alors que l’armée française était engagée à la fois au Sahel et en Centrafrique contre des groupes armés terroristes ou des milices. Huit ans plus tard, tandis que la guerre russo-ukrainienne fait rage et qu'il est question de haute intensité, ce texte conserve un aspect percutant et rafraîchissant.

Il est regrettable que le général Lanrezac n'ait pas trouvé son biographe. Heureusement, l’opuscule de Pierre-Henri Aubry est là pour nous offrir une première approche. Comme il l’écrit dans sa conclusion, il vise à ouvrir une piste de réflexion à partir de la vie militaire du général Lanrezac. Ce dernier a légué plusieurs écrits (liens ci-dessous) mais également une bataille qui constitue un cas d’étude très intéressant (la bataille de Guise combine combats offensifs et défensifs, parfois simultanément). En décembre 2015, j’évoquais le pragmatisme du général Lanrezac : des années plus tard, c’est en effet une qualité que l’officier me paraît toujours devoir cultiver, à la fois comme tacticien et comme chef.

Août 2023

Pour le lecteur curieux de découvrir les écrits de cet officier, deux liens vers ses deux principaux textes :

La Manœuvre de Lützen - 1813, du colonel Lanrezac, disponible en ligne sur Gallica.

-Le Plan de campagne français et le premier mois de la guerre (2 août - 3 septembre 1914) : le texte écrit par le général Lanrezac pour justifier ses actions durant l'été 1914.

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