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Éclectisme des goûts : lecture, Histoire, défense, wargame, Star Wars. Des choses à partager et faire découvrir au gré de l'inspiration.

Soviet military operational art – In pursuit of deep battle, de David Glantz

David Glantz est un spécialiste reconnu de l’armée soviétique. Officier à la retraite de l’US Army, cet historien militaire s’est distingué au cours de sa carrière militaire par un certain nombre de publications portant sur la pensée militaire ou l’histoire militaire soviétique, tout particulièrement celle de la Seconde Guerre mondiale (The Soviet Strategic Offensive in Manchuria, 1945, August Storm et Zhukov’s Greatest Defeat – The Red Army’s Epic Disaster in Operation Mars, 1942). L’ouvrage dont il sera en question dans cet article est plus théorique. Soviet military operational art – In pursuit of deep battle retrace l’histoire de la doctrine opérationnelle de l’armée soviétique des années 1920 jusqu’aux années 1980. Publié en 1991, Soviet military operational art – In pursuit of deep battle est écrit dans le contexte d’une Guerre froide finissante. David Glantz rédige son texte alors que l’armée soviétique est encore l’ennemi potentiel n°1. En brossant l’histoire des évolutions de la doctrine opérationnelle soviétique, l’officier américain vise à donner des clés de compréhension de celle-ci. L’ouvrage produit est dense et austère mais passionnant pour qui veut connaître et comprendre la manière dont les stratèges soviétiques ont préparé intellectuellement leurs forces à la guerre.

Différentes lectures (The Nature of the Operations of Modern Armies, de V.K. Triandafillov, The Evolution of Operational Art, de Georgii Samoilovitch Isserson) montrent la richesse de la pensée militaire soviétique. Cette réflexion originale et créative est présentée par David Glantz dans les premiers chapitres de de son livre. Le propos montre déjà la précision et la richesse de cette pensée mais souffre de son âge. Depuis 1991, l’ouverture des archives soviétiques ont permis de mettre en lumière un certain nombre d’éléments dont ne disposaient pas David Glantz lorsqu’il a écrit son livre. Ainsi, de récentes publications (notamment la thèse de Dimitri Minic) montrent sur un plan scientifique la réelle portée de la culture stratégique soviéto-russe. Enfin, David Glantz écrit dans le contexte de l’éclosion de la doctrine de l’AirLand Battle américaine et de la reconnaissance par les Etats-Unis d’un niveau intermédiaire de la guerre qui serait l’art opératif. Théorisé et pratiqué par les Soviétiques, l’art opératif se place ainsi entre la tactique et la stratégie. En France, Conduire la guerre - Entretiens sur l’art opératif, de Benoist Bihan et Jean Lopez développe ce même thème et réfute l’idée d’un niveau intermédiaire de la guerre. Le sujet est complexe mais intellectuellement toujours aussi stimulant.

Au-delà de ces considérations conceptuelles, Soviet military operational art – In pursuit of deep battle traite en réalité de la traduction doctrinale du concept soviétique des opérations dans la profondeur et de son évolution à travers différentes périodes de l’Entre-deux-guerres à la Guerre froide en passant évidemment par la Grande Guerre patriotique. David Glantz établit chapitre après chapitre une généalogie des opérations dans la profondeur. Chaque chapitre est structurée selon le même plan : Contexte / Doctrine / Structure des forces / Stratégie / Art opératif et tactique. Cette structure identique offre l’avantage de la clarté et permet au lecteur de suivre étape par étape les évolutions (sans qu’il n’y ait véritablement de rupture) de la pensée militaire soviétique, notamment aux prismes de la réalité (la Seconde Guerre mondiale et l’épreuve du feu) et des avancées technologiques (le feu nucléaire et les armes de précision).

Loin de l’image d’une machine pesante sans finesse stratégique et tactique, David Glantz montre la recherche permanente d’une aptitude à la manœuvre aéroterrestre combinant le feu et le mouvement. Si la Guerre d’Hiver contre la Finlande en 1940 (sur ce sujet : La Finlande dans la Seconde Guerre mondiale, de Louis Clerc) et le choc de Barbarossa en 1941 (Barbarossa, 1941, la Guerre absolue, de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri) mettent en lumière les lacunes et les carences dans la mise en œuvre de cette doctrine, l’Armée rouge acquiert progressivement une maîtrise de la manœuvre interarmées (brillamment appliquée en 1945 en Mandchourie face au Japon). Durant l’affrontement titanesque qui oppose l’URSS à l’Allemagne, les militaires soviétiques ne cessent de réfléchir afin d’adapter au mieux leur doctrine. Cette réflexion se poursuit tout au long de la Guerre froide. Jusqu’en 1991, la doctrine et l’articulation des forces ne cessent d’évoluer au fur et à mesure que les Soviétiques intègrent l’arme nucléaire puis le développement des armes de précision dans leur pensée. Les analyses et développements de David Glantz sont passionnants et démontent l’idée d’une armée soviétique monolithique. Afin de contrer le feu nucléaire et la montée en gamme des armes de précision, celle-ci met l’accent sur la vitesse de sa manœuvre afin de pénétrer au plus vite dans la profondeur du dispositif ennemi, le désorganiser et l’empêcher d’agir. Grâce à une manœuvre aéroterrestre dans la profondeur, l’armée soviétique serait en mesure de vaincre son adversaire (l’OTAN) avant que celui-ci n’ait le temps de mettre en œuvre ses armes de précision et le feu nucléaire. La pensée est claire et cohérente, séduisante même.

Il faut cependant garder un esprit critique. Durant la Guerre froide, la doctrine opérationnelle soviétique des années 1970-1980 envisage une pénétration rapide des défenses adverses suivie d’une exploitation dans la profondeur. Les modes d’action diffèrent selon l’état de préparation de la défense (non préparée, hâtivement préparée, préparée) mais ne semblent pas envisager un échec de la rupture. La guerre est un pas de deux dans lequel chacun manœuvre pour s’imposer dans la prise de l’initiative. La surprise recherchée par les Soviétiques ne constitue pas une donnée immuable. Face à une défense préparée, le mode d’action combine assaut de fusiliers motorisés et usage massif des feux de l’artillerie. L’abordage d’une position défensive constitue une manœuvre complexe et difficile. Cela l’est d’autant plus dans un environnement caractérisé par une densité d’armements modernes comme pouvait l’être l’Europe des années 1980. L’actualité ukrainienne montre bien qu’une offensive blindée-mécanisée contre un adversaire retranché est une séquence de longue haleine. Les Soviétiques eux-même l’ont vécu durant la Seconde Guerre mondiale. En Europe, leur victoire a reposé sur une série d’offensives séquencées dans le temps et l’espace tout en accumulant des moyens massifs. En Mandchourie, où l’Armée rouge est au sommet de son art, la victoire est emportée d’un seul élan par une manœuvre interarmées dans la profondeur remarquablement maîtrisée. Le véritable enjeu ne résidait cependant pas dans l’issue de l’offensive, inéluctable face à une armée japonaise affaiblie, mais dans l’acquisition de gains stratégiques dans un temps limité.

Ces réflexions ne condamnent pas le livre de David Glantz. Au contraire, c’est bien celui-ci qui la suscite. En remettant en perspective la doctrine opérationnelle de l’armée soviétique, Soviet military operational art – In pursuit of deep battle ouvre des portes, tire des fils, propose des idées. L’ouvrage ne constitue pas une introduction. Sa lecture exige au contraire un fond de sac en termes de connaissances sur les opérations et les moyens de l’armée soviétique, notamment au cours de la Seconde Guerre. Néanmoins, pour qui s’intéresse à ces réflexions doctrines, développées avec un luxe de détails et de références, ce livre trouvera toute sa place dans une bibliothèque d’Histoire militaire.

Juillet 2023

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